Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orthodoxes de la religion catholique. Et il était pourtant le prêtre de cette religion, et il fonctionnait parfois en cette qualité devant l’autel de l’église, revêtu de l’étole sacerdotale. Je constate ce fait, car je pense qu’un jour, devant les assises du jugement dernier dans la vallée de Josaphat, il se pourrait bien qu’on me comptât comme une circonstance atténuante d’avoir été admis dès mon âge le plus tendre aux leçons philosophiques dont je viens de parler. Je jouissais de cette faveur pernicieuse à cause des liens d’amitié qui existaient entre le recteur Schallmeyer et notre famille ; il s’intéressait particulièrement à moi en souvenir d’un de mes oncles qui avait été son Pylade du temps qu’ils étudiaient ensemble à l’université de Bonn. Le brave homme n’oubliait pas non plus que mon grand-père, le fameux docteur Gottschalk de Geldern, l’avait sauvé autrefois d’une maladie mortelle, et il venait souvent chez nous pour conférer avec ma mère sur mon éducation et ma carrière future. C’est dans une de ces conférences, comme ma mère me l’a raconté plus tard à Hambourg, qu’il lui donna le conseil de me destiner à l’église et de m’envoyer à Rome pour étudier la théologie catholique dans un séminaire de cette ville. Par l’influence des amis que le recteur Schallmeyer comptait parmi les prélats du plus haut rang à Rome, il affirmait être en état de me faire parvenir à une place ecclésiastique des plus importantes.

Quand ma mère me raconta cette circonstance, elle exprima ses vifs regrets de n’avoir pas suivi le conseil de ce vieil ami plein de sagacité, qui avait pénétré « le bonne heure les penchans de mon caractère, et qui avait bien compris quelle température spirituelle et physique était la mieux adaptée, la plus salutaire à ma nature. Ma vieille mère s’était souvent reproché depuis d’avoir décliné une proposition aussi raisonnable ; mais à cette époque elle avait rêvé pour moi des dignités mondaines des plus superbes et des plus brillantes. Ensuite elle avait été dès sa première jeunesse une élève de l’école de Rousseau, dont le déisme rationnel allait bien à son caractère rigide et presque puritain ; pour d’autres raisons encore, elle ne pouvait se faire à l’idée que son fils aîné endosserait cette soutane disgracieuse et mal cousue dont elle voyait affublés les ecclésiastiques de mon pays. Elle ne savait pas qu’un abbate romain porte ce vêtement tout autrement que les prêtres de l’Allemagne, braves gens sans doute, mais pour la plupart quelque peu mal léchés et d’une propreté équivoque, qui prouve bien qu’ils ne veulent plaire qu’au bon Dieu. Ma mère n’avait jamais vu un signore abbate se draper d’une façon coquette et séduisante dans son petit manteau noir, qui est l’uniforme sacré du muscadin tonsuré et du bel esprit à l’eau bénite dans cette ville de Rome, capitale éternelle de la beauté et de la galanterie.