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ma maison un seul mot peu canonique ; aussi j’ai vécu comme un honnête épicier dans mon intérieur, au milieu de Paris, la Babylone moderne, et c’est pourquoi, lorsque j’ai pris femme, j’ai voulu ne pas me priver de la bénédiction de l’église, quoique dans ce pays éclairé de France le mariage civil, institué par les lois, soit suffisamment sanctionné par la société. Mes amis du parti radical, autant que ceux du parti protestant, m’en ont voulu beaucoup, et m’ont reproché d’avoir fait de trop grandes concessions à la prêtraille. Leurs sarcasmes sur ma faiblesse auraient été bien plus méchans encore, s’ils avaient su quelles autres et plus grandes concessions j’ai faites alors au clergé, qu’ils abhorrent et qu’ils appellent l’ogre de Rome. En ma qualité de protestant qui voulais épouser une catholique, j’avais besoin, pour faire bénir cette union par un prêtre de son culte, j’avais besoin, dis-je, d’une dispense spéciale de l’archevêque ; mais ce dernier ne donne cette dispense qu’à la condition expresse que le futur époux s’engage par écrit à faire élever dans la religion de leur mère les enfans qu’il pourrait procréer. Cette promesse est consignée dans un acte formel, et, quels que soient les cris qu’on élève dans le monde protestant sur une pareille contrainte, il me semble que le clergé catholique est ici parfaitement dans son droit, car celui qui requiert de l’église la garantie de sa bénédiction doit se conformer aux conditions qu’elle met à la donner. Je m’y suis donc conformé tout à fait de bonne foi, et j’aurais certainement rempli mes obligations, s’il y avait eu lieu ; mais grâce à ma vocation peu prononcée pour la paternité, cet engagement n’avait rien de trop audacieux, et, en le signant, j’entendais murmurer en moi-même les paroles de la belle Ninon : « Ah ! le beau billet qu’a La Châtre ! »

Pour compléter mes aveux, j’ajoute qu’à cette époque j’aurais été capable, pour obtenir la dispense de l’archevêque, de donner à l’église catholique non-seulement mes enfans, mais encore moi-même par-dessus le marché. — Toutefois, l'ogre de Rome, qui, pareil au monstre dans les contes de fées, se réserve les naissances futures pour prix de ses services, ce pauvre monstre ne pensa pas à me dévorer, moi ; il se contenta de cette progéniture qui a toujours tardé à venir, et c’est ainsi que je suis resté protestant, tel que je l’étais, et, en ma qualité de protestant, je proteste contre des bruits qui, sans être injurieux, peuvent cependant être exploités au préjudice de ma réputation.

Oui, moi qui laissai toujours passer, sans m’en soucier, les propos même les plus absurdes sur mon compte, je me suis cru obligé de faire cette rectification, pour ne pas offrir au parti mal léché des Atta-Troll allemands l’occasion de grommeler sur ma légèreté et mon