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appartiennent essentiellement an caractère écossais : ce qui peut-être lui appartient moins, c’est l’éclatante richesse de coloris et l’abondance luxuriante d’images que l’on remarque chez ce poète de vingt ans, dont véritablement parfois on est tenté de qualifier l’inspiration d’ivresse.

Il serait difficile de donner une idée exacte de l’effet produit par le petit volume des Poèmes d’Alexandre Smith ; Dans chaque contrée où la langue anglaise se parle, à Calcutta comme à Sidney, à la Jamaïque ainsi qu’à Québec, on s’arrachait le nouveau livre, on le dévorait, le comprenant à peine ; mais on y revenait, et longtemps avant de l’aimer tout à fait, on décidait unanimement qu’ouvrage plus étonnant avait rarement paru. Enfant merveilleux ! extraordinary boy ! ce fut le mot qui retentit à travers la société et la presse, et c’est même là le seul argument qu’au premier abord les ennemis du poète eussent contre lui : « C’est trop un enfant prodige, disent-ils, pour être jamais un homme remarquable. » Le temps se chargera de résoudre ce problème.

« Ce qui a peut-être le mieux constaté mon succès à mes propres yeux, dit naïvement en parlant de lui-même Alexandre Smith, c’est que maintenant mon patron m’appelle monsieur. » Ce mot de patron, nous l’expliquerons bientôt. En attendant, quelque chose de plus positif a pu apprendre au jeune poète de Glasgow le cas que faisaient de lui ses compatriotes : on l’a nommé secrétaire de l’université d’Edimbourg avec des appointemens d’environ 15,000 fr. par an[1]. Né parmi le peuple, Alexandre Smith était parvenu dans une des grandes fabriques de Glasgow à une position analogue à celle de contre-maître d’atelier ; de là le mot de patron.. Celui-ci, à ce qu’il paraît, revenait difficilement de la surprise que lui causait le fait d’avoir un poète parmi ses employés, « poète, ajoutait-il avec une sorte de stupéfaction inexprimable, dont les vers se payaient en véritables écus comptans. »

Du contraste qui devait naturellement exister entre sa vie extérieure et ce qui fermentait dans son cerveau vient une bonne partie de la puissance d’expression de Smith. Il ne vit guère, il rêve, et les objets qu’il croit voir conservent je ne sais quoi d’étrange, de surnaturel. L’existence réelle pour lui consiste à tenir des comptes et à vérifier le nombre et l’état des ballots emmagasinés ; mais à travers le sombre warehouse de la plus sombre cité d’Ecosse, il promène sa lampe d’Aladin, et au moindre appel le voilà transporté dans un palais

  1. M. Arnold non plus ne doit pas se plaindre de ce que lui a valu son talent. Cet infatigable protecteur des jeunes gens distingués, lord Lansdowne, l’a nommé, il y a déjà quelque peu de temps, à une place d’inspecteur des écoles sous la direction de l’Education-Board, ce qui équivaut à peu près à la position de recteur d’académie.