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concevoir l’expression arrivant à une plus éblouissante Splendeur. Ce n’est donc pas, — et je ne saurais trop le répéter, — ce n’est pas seulement par la hardiesse et la profondeur de ses idées que Shelley est devenu le maître de l’école actuelle, « celui de qui notre génération a tout appris, » pour me servir d’un mot de M. Julian Fane ; c’est parce qu’il donne le dernier et le plus puissant essor au sentiment national, qui voulait, depuis longues années, se faire jour. Disons-le, quelque étonnement que cela puisse causer à certaines gens, et quelques conventions séculaires que cela renverse : Shelley est Anglais par tous les côtés de son génie, à l’homogénéité de ce génie avec celui de la nation même il doit l’influence suprême qu’il exerce, et c’est parce qu’il est Anglais qu’il touche désormais à la plénitude de sa gloire.

Ce qui au besoin prouverait la souveraineté du génie de Shelley, c’est que nulle part vous n’échappez à son action, et qu’il exerce une domination égale par les attributs les plus contraires. Avant lui et avant Carlyle, lequel (à son insu peut-être) est un de ses plus puissans interprètes, l’esthétique pouvait passer pour un mot vide de sens en Angleterre. Pope, Dryden et bien d’autres entendaient sans doute l’art à merveille, mais du point de vue matériel seulement, tandis que l’esthétique en veut à l’âme de l’art, à sa partie immatérielle, divine. Shelley, comme ses ancêtres les Grecs et leurs descendans les Allemands, s’attache passionnément à cette étude des principes immortels de tout art. De Platon et de Phidias il va droit à Jean-Paul et à Goethe, ivre de la beauté partout et toujours, mais reconnaissant bientôt qu’elle n’est point en dehors du vrai, et que l’idée et la forme, ainsi que la fleur et sa tige, sont et demeurent indivisibles.

C’est avec intention que nous venons de rappeler les qualités distinctives du génie de Shelley, — le sentiment de l’idéal et le sentiment de l’art. Nous pourrons mieux préciser ainsi les rapports qui unissent les disciples au maître. Avec M. Arnold en effet, c’est l’esthétique de Shelley qui se continue ; avec M. Smith, c’est son lyrisme qui renaît. Voyons d’abord quelle est la part de M. Arnold dans cette réaction littéraire.

En tant qu’esthéticien, Shelley n’a point de disciple plus distingué que M. Arnold. L’auteur d’Empédocle est en poésie ce que sont en peinture ces intolérans adorateurs de la ligne pure qui devant la trop exacte reproduction de la vie se voilent la face, et condamnent la couleur comme une impiété. Ainsi que ses confrères les préraphaëlistes, c’est un dogmatique bien plus qu’un sectaire. La très remarquable préface qu’il a imprimée en tête de son dernier volume contient sa poétique tout entière, formulée de la façon la moins conciliante