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que n’auraient pu accomplir cent volumes d’actes de parlement et cent prêches des ministres de l’église. Mort à quarante-sept ans, dans la plénitude de son influence et de sa renommée, il y avait chez lui l’ardeur au travail et la simplicité d’un scholar du temps de Jeanne Gray unies à une activité sans trêve et à cette gravité anxieuse qu’impose au lutteur du XIXe siècle le sentiment de sa responsabilité[1]. Que d’importantes choses où Arnold a été le premier ! C’est à lui qu’on doit l’introduction de l’étude des langues modernes dans l’éducation des jeunes gens, c’est lui qui porta le premier coup de hache à tout le vieux système d’enseignement. Le premier il démolit les conventions, acceptées jusqu’alors, de l’histoire ancienne, et révéla Niebuhr et les Allemands à ses compatriotes. Le premier il exigea une tendance pratiquement morale dans les études, et prépara les jeunes gens sous ses ordres à être, non pas des « païens plus ou moins académiques, » mais, selon sa propre expression, » des chrétiens et des gens comme il faut. » Pas un événement ne se passe dans le monde politique sans que le docteur Arnold y prenne part par la plume ; combien de brochures, de pamphlets, d’articles dans la Revue d’Edimbourg témoignent de l’influence active exercée par celui dont la moitié du pays disait : » Quel dommage qu’un homme fait pour gouverner un état ne soit que grand-maître [head-master) d’un collège ! » Voué à la défense des idées libérales, jamais l’enthousiasme le plus exalté ne l’entraîna hors des voies de la modération, et son esprit de justice fut cause que nul parti ne voulait de lui, tandis que tous subissaient à l’occasion son ascendant. Peut-être le docteur Arnold était-il un homme de génie ; à coup sûr c’était un très grand homme, et par le caractère et par l’influence qu’il exerça sur l’opinion publique. Malgré le nombre de volumes qui portent son nom, ses Sermons, son Histoire de Rome, son Thucydide et tant d’autres travaux épais, dont chacun fut un acte et atteignit son but, le docteur Arnold a l’immense honneur d’avoir encore plus formé d’hommes qu’il n’a fait de livres, et d’avoir pendant treize ans (de 1828 à 1841) préparé les voies à la génération actuelle.

« L’humanité s’avance en spirale, » disait Goethe. Eh bien ! dans cette marche ascendante Shelley se superpose à Shakspeare, et les jeunes intelligences de notre temps en Amérique et en Angleterre

  1. « Tout ce qui préoccupe le travailleur actuel du XIXe siècle le préoccupait, lui aussi, » dit Arthur Stanley dans sa Vie du Dr Arnold (2 vol., London, B. Fellowes, 1845), et il cite à propos de l’influence qu’il exerça sur l’éducation le passage suivant d’une lettre du grand-maître de Winchester : « Un grand changement se fit dans l’esprit de la jeune génération ; elle devint révérencieuse. Je suis persuadé que cela peut s’attribuer principalement à l’action du Dr Arnold et à la grave simplicité de son caractère (his earnestness and simplicity) ; tout vient de lui, il fut le premier. »