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arme de guerre, de ce qui n’avait été jusqu’alors qu’un objet d’amusement et de loisir. Lorsqu’on eut entrepris de soumettre au contrôle de la philosophie chacune des découvertes humaines, la peinture, comme tout le reste, servit de thème aux dissertations et aux développemens dogmatiques. Transformée sous la plume de Diderot en cours de morale romanesque, en cantique perpétuel à la nature et à l’honnêteté des mœurs, la critique d’art fut encore sous la plume moins passionnée de Watelet un moyen de propagande et une manifestation de l’esprit philosophique. À partir de ce moment, chaque nouvel écrit sur la peinture n’eut plus d’autre signification, et depuis les Réflexions critiques du marquis d’Argens, jusqu’à l’Art de bien juger la peinture, par l’abbé Laugier, les livres composés par des amateurs ou des artistes portèrent de moins en moins le cachet de la simplicité. On soutint avec éclat quelquefois, le plus souvent avec arrogance, des thèses conformes aux doctrines et aux goûts du temps ; on commenta, à propos de tableaux, l’Essai sur les mœurs et le Dictionnaire philosophique ; et comme en toutes choses on n’assignait guère à l’origine du vrai et du bien d’autre date que l’époque actuelle, à peine parut-on se souvenir que la peinture était née en France avant le règne de Louis XV, les « tableaux à sentiment » de Greuze, et les marines de Vemet. Survint vers les premières années de l’empire Emeric David, qui sans parti pris littéraire, sans arrière-pensée paradoxale ni influence de coterie, essaya de remonter aux sources authentiques et de montrer sous son vrai jour l’histoire si étrangement méconnue ou défigurée des premiers progrès de l’école française : entreprise bien opportune, mais malheureusement inachevée, et dont les résultats, si précieux qu’ils soient, ne peuvent être considérés que comme des fragmens de la pensée de l’auteur et comme des travaux préparatoires.

Les historiens ont donc toujours fait défaut à l’art et aux artistes de notre pays. Ce que nous ont laissé les écrivains des deux derniers siècles manque tantôt d’érudition et d’exactitude, tantôt de retenue, et ne saurait par conséquent être accepté avec beaucoup de confiance. Est-ce une raison toutefois pour se jeter dans un excès contraire, et faut-il se condamner à être insuffisant de peur de paraître immodéré ? Dans les livres qui traitent de notre école, la critique ne peut-elle désormais trouver place à côté de l’exposé des faits, parce qu’on a abusé de la critique ? La vérité doit-elle se montrer aride et nue, parce qu’on l’a trop longtemps affublée d’ornemens de rencontre ? Il est permis de croire, à en juger par le caractère de leurs ouvrages, que telle est l’opinion de MM. de Chennevières, Dussieux et de leurs collaborateurs. On conçoit qu’en haine du faux et du suspect, et pour mieux s’isoler des entrepreneurs de critique ou d’histoire, des hommes véritablement éclairés, des investigateurs patiens,