Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’hommes capricieusement inspirés. Même lorsqu’elles revêtent une forme allégorique, les idées qu’exprime leur pinceau ont je ne sais quoi de raisonnable et de pratique qui accuse les conseils de la philosophie beaucoup plutôt que les suggestions de la Muse, et s’il fallait trouver à notre école de peinture son équivalent dans l’ordre littéraire, ce serait à l’ensemble de nos écrivains en prose qu’il conviendrait de la comparer.

Ne peut-on dire en effet que les peintres français sont dans leur art des prosateurs excellens, et que leur style, comme celui de nos classiques, est avant tout sobre, clair et précis ? La profondeur des intentions sous une apparence simple ou discrètement ornée, le tour ingénieux et le goût de l’exactitude en toutes choses, tels sont les caractères auxquels se reconnaissent les œuvres de notre école : école de penseurs et de graves talens, où l’on semble attacher à ce qui est sage autant de prix pour le moins qu’à ce qui est beau, où l’on veut persuader plus encore que séduire. De là, il est vrai, quelque excès d’analyse parfois dans le mode de composition, quelque chose dans l’exécution de trop formel et pour ainsi dire de dogmatique, dont le regard s’éprendra plus difficilement que l’esprit ; mais aussi rien d’inachevé ni d’expressif à demi. Il se peut qu’ébloui par le luxe pittoresque qui brille dans d’autres travaux, on trouve relativement peu d’éclat aux tableaux des peintres français ; peut-être même cette manière réservée, méthodique jusque dans la verve, sera-t-elle accusée d’impuissance ou de froideur : si l’on réfléchit pourtant aux conditions fondamentales de la peinture, on s’aperçoit que les qualités absentes ne sont à tout prendre que des qualités secondaires. On revient, aux ouvrages de nos maîtres, parce qu’ils relèvent principalement de la pensée ; on y revient d’autant plus sûrement, qu’on a mieux étudié les systèmes des différentes écoles, et, quelle que soit à certains égards la supériorité de celles-ci, on sent que la nôtre se recommande entre toutes par la portée morale des œuvres et une haute intelligence de l’expression.

Ce goût sain et ce remarquable bon sens, communs à la littérature et à la peinture françaises, se retrouvent au reste dans les autres monumens de l’art national, et constituent l’unité de sa physionomie. L’architecture de nos anciennes églises, des palais et des châteaux, est pleine d’imagination et de grandeur. Niera-t-on que cette imagination soit strictement réglée par la convenance ? Cette grandeur n’est-elle pas toujours judicieusement calculée ? Il n’est pas jusqu’aux édifices construits en France aux époques les plus désordonnées qui ne gardent une apparence de correction et de mesure dont les édifices contemporains bâtis dans d’autres pays sont absolument dépourvus. Au moment où le style ogival corrompu auquel on a donné le nom de