Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’âge mûr, parviennent dans la société où ils vivent à toutes les dignités auxquelles ils aspirent, qu’ils font à leur choix des alliances pour eux et pour leurs enfans…Mais tous ces résultats ne sont rien ni pour le nombre ni pour la grandeur en comparaison des biens réservés dans l’autre vie à la vertu[1]. » Ainsi pendant la vie l’honneur et même les dignités publiques, outre les joies de la conscience, et après la vie la jouissance du bonheur que Dieu réserve à la vertu : voilà, selon Platon, le sort du juste sur la terre et dans le ciel, voilà ce que l’homme gagne à se conformer à l’éducation sévère et laborieuse que prescrit Platon. Vertueux sur la terre, l’homme sera heureux dans le ciel, car Platon et tous ceux qui exhortent l’homme à bien faire ne bornent pas à ce monde les récompenses de la vertu. Nous consentons à vivre honnêtement pour vivre éternellement. Propter hoc discitur bene trivere, dit saint Augustin, ut perveniatur ad semper vivere. Les biens du monde, quand même ils seraient sûrs, ne suffisent pas à l’encouragement de la vertu ; il y faut les biens du ciel, quand même ils seraient incertains. Ce qui plaît surtout d’ailleurs à l’homme dans l’espoir du bonheur céleste, c’est que ce bonheur perpétue sa personne dans l’éternité. Faites qu’au lieu de vivre avec la qualité qu’il a reçue de Dieu et que Dieu a lui-même d’être une personne distincte, l’homme ne vive plus que comme une partie ou un atome de je ne sais quelle âme immense et confuse, soit celle de l’humanité, soit celle du monde : le désir de l’éternité s’éteint, et l’immortalité n’a plus aucun prix pour moi, si ce n’est pas la mienne. Anéantir la personne, c’est anéantir l’homme.

C’est là le défaut essentiel de l’unité de l’état, qui est l’autre récompense que Platon propose à ceux qui se conforment à son plan d’éducation. Dans Platon, l’état absorbe l’individu ; le citoyen détruit l’homme. Le plan d’éducation de Platon tend à ce but. Il ne veut pas élever l’enfant pour lui-même ou pour sa famille, il l’élève pour l’état. Il veut une harmonie complète entre l’éducation et la constitution, idée juste, si vous ne l’exagérez pas, et si surtout vous avez une idée exacte des conditions de la société où vous vivez. Ce serait assurément une erreur de faire des républicains dans une monarchie et des sujets dans une république ; mais la plus grande erreur serait certainement d’élever les jeunes gens pour la vie publique dans un pays et dans un temps où la vie privée l’emporte sur la vie publique. L’homme, dans les petites républiques de l’antiquité, était nécessairement un citoyen ; il élisait ses magistrats, il délibérait sur les affaires publiques, il jugeait même les procès. Une bonne partie de sa vie se passait dans l’agora. L’homme, dans les grands états modernes, même

  1. Livre X, p. 278-279.