Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des sciences. Cette éducation toute philosophique des magistrats est hardie, et ressemble jusqu’à un certain point à l’éducation des théologiens. Les théologiens en effet étudient la nature de Dieu et la nature de l’homme tout entière dans ses rapports avec Dieu ; ils ont de cette façon la science la plus générale possible, puisque c’est Dieu qui en est l’idée principale, et ils soumettent avec raison toutes les sciences particulières à cette science générale. Tel est aussi l’objet de l’éducation des magistrats ou des philosophes, car il est visible que ce sont des philosophes que Platon veut avoir pour magistrats dans son état. À trente ans, les candidats de Platon apprennent la dialectique pendant cinq ans ; à trente cinq, ils entrent dans les emplois militaires, car Platon ne veut pas que les guerriers et les magistrats se séparent dès le commencement de leur carrière et fassent dans l’état deux classes distinctes et jalouses. À cinquante ans enfin, ils entrent dans la magistrature. Leur éducation dure plus longtemps que leur vie ; mais Platon n’épargne ni le temps ni la peine de ses élèves, parce que dans la longue et pénible éducation qu’il leur impose il ne songe pas à eux, mais à l’état. Il les élève pour l’état, et de la manière qui lui semble le plus utile à l’état, sans se soucier s’ils auront une profession trop tard pour en pouvoir profiter longtemps. Dans l’état de Platon, les emplois ne sont pas des places, ce sont des obligations imposées aux citoyens. L’étal est tout, l’individu n’est rien.

Après avoir fait le plan de l’éducation de ses guerriers et de ses magistrats, Platon cherche dans le Xe livre, qui est le dernier, quels motifs nous pouvons avoir pour nous conformer à ce plan d’éducation. Quel profit retirerons-nous, si nous suivons les règles prescrites par Platon ? Deux grands profits, dit Platon : l’un dans cette vie, et l’autre dans la vie future. Dans cette vie, nous aurons l’unité de l’état ; dans l’autre vie, nous aurons les biens réservés à la vertu de ces deux récompenses, je ne fais cas que de celle qui se rapporte à la vie future, car l’unité de l’état telle que l’entend Platon, loin de me sembler un bien, me semble un mal insupportable.

Comment d’abord Platon arrive-t-il à nous promettre la jouissance d’un bonheur éternel en retour d’une vie honnête et vertueuse ? Non pas qu’il réserve absolument pour l’autre monde toutes les récompenses de la vertu : la vertu est honorée ici-bas, et souvent même elle est heureuse. « J’ai été jeune et je suis devenu vieux, dit le psalmiste[1], et pendant tout ce temps je n’ai pas vu le juste abandonné et sa race cherchant son pain. » Platon a la même espérance pour le juste : « Je prétends, dit-il, que les justes, lorsqu’ils sont

  1. Psaume XXXVI, vers. 25.