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c’est d’avoir un bon préfet de police qui fait la règle et qui leur sert pour ainsi dire de conscience, si bien qu’ils font sans scrupule tout ce que la police ne défend pas, et ne s’arrêtent que devant le règlement ou devant le sergent de ville. Ces gens-là observent la volonté humaine de peur de s’en mal servir ; ils font ce que faisaient les pénitens du monde en entrant au couvent. Seulement leur couvent, qui est une grande ville avec tous ses plaisirs, surveillée par la police, leur couvent est plein de licence ; mais c’est cela même qui leur plaît, parce qu’ils sont persuadés que, grâce à l’ascendant de ce qu’ils appellent l’ordre, la licence des mœurs privées n’enfantera jamais l’anarchie des mœurs publiques et que les libertins n’auront point à craindre la concurrence des factieux. Les peuples sages et vraiment dignes de la liberté sont ceux qui savent qu’en se gouvernant eux-mêmes ils doivent avoir dans leur conscience un maître plus sévère que le plus impérieux des despotes.

Nous avons vu ce qu’est la gymnastique et la musique selon Platon ; voyons comment il fait usage de la musique ou plutôt de la littérature dans l’éducation des guerriers. Il y a là un curieux programme d’enseignement.

Les discours qui rentrent dans la musique ou dans la littérature sont de deux sortes, les discours vrais et les discours mensongers, ou les fables. Les fables sont très propres à l’éducation des enfans. Il faut seulement que ce soient de bonnes fables et « non pas des fables imaginées par le premier venu[1]. » Les fables destinées à l’enfance doivent être honnêtes et morales. Or, comme les fables mythologiques n’ont point ce caractère, Platon proscrit sans hésiter la mythologie. Les enfans, dit Platon, ne sont pas encore en état de discerner ce qui est allégorique de ce qui ne l’est pas, ils prendraient donc au sérieux les récits de la mythologie et s’y corrompraient. Il faut à qu’ils n’entendent que des fables propres à les porter à la vertu. » Ainsi rien de merveilleux ne doit être enseigné aux enfans ; mais Platon, sur ce point, ne va point jusqu’où va Rousseau, qui ne veut pas qu’on parle de Dieu aux enfans avant un certain âge, parce qu’ils ne sont pas en état de rien comprendre à Dieu. Platon au contraire veut que les fables, c’est-à-dire l’épopée, l’ode et la tragédie, dont il se sert dans l’éducation des enfans, leur parlent de Dieu. En mettant ainsi l’idée de Dieu à la tête de son programme d’éducation, Platon ne fait pas seulement une chose honnête et sage, il montre en cela qu’il a une plus juste intelligence de l’esprit des enfans. L’enfant a d’autant moins de peine à comprendre l’idée d’un être supérieur, qu’il se sent lui-même entouré d’êtres qui lui sont supérieurs,

  1. Livre II, p. 105.