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ou l’imposition des deniers, pour l’entrée et la sortie des marchandises soit par terre, soit par mer, en un mot sur ce qui concerne le marché, la ville et le port et tout le reste ? — Non ; il convient de ne rien prescrire là-dessus à d’honnêtes gens ; ils trouveront eux-mêmes sans peine la plupart des règlemens qu’il faudra faire[1]. » Ainsi aux gens honnêtes il ne faut pas de lois, ni bonnes, ni mauvaises : ils ont la loi en eux-mêmes ; quant aux malhonnêtes gens, que feraient-ils des meilleures lois du monde ? Ils ne les auraient que pour les violer ou les éluder. Platon se moque volontiers des politiques qui croient que, quand un peuple souffre, il lui suffit, pour guérir, de changer de lois. « Nos politiques, dit-il, sont les gens les plus propres à nous divertir avec leurs règlemens, sur lesquels ils reviennent sans cesse, dans la persuasion qu’ils trouveront la fin des abus qui se glissent dans les conventions et dans les autres choses dont nous parlions tout à l’heure, sans se douter qu’ils coupent les têtes d’une hydre. » Pour être écrites il y a deux mille ans, ces paroles n’en ont pas moins d’à-propos. Ne vous inquiétez pas des lois ; inquiétez-vous de ceux qui leur obéissent. Ayez de bons citoyens, tout est là, et pour avoir de bons citoyens, élevez-les bien. La République de Platon n’est pas autre chose qu’une méthode d’éducation à l’usage des guerriers ou des magistrats. Ce sont là en effet, selon Platon, les deux classes importantes dans l’état.

Voyons d’abord l’éducation des guerriers. Cette éducation a deux objets principaux : former le corps par la gymnastique et l’âme par la musique[2], afin d’arriver à la plus belle œuvre qu’il soit donné à l’homme de produire, à savoir la beauté de l’âme unie à la beauté du corps :


Gratior et pulchro veniens in corpore virtus.


Quoi ! tout cela avec la gymnastique et avec la musique, qui nous semblent aujourd’hui des arts de second ordre ? — Oui, mais comprenons bien ce que Platon entend par la gymnastique et par la musique. La gymnastique est l’hygiène, grande science dans les états, grande sagesse dans les hommes. Ne croyez pas qu’il s’agisse ici de l’athlétique ou de l’art de former et d’exercer des athlètes, science toute différente, dont Platon ne paraît pas faire grand cas, non plus que des gens qu’elle est destinée à former. La force des athlètes était une force tout artificielle et propre à certains exercices ; c’était la force de nos faiseurs de tours et de nos danseurs de corde. Platon veut « une gymnastique simple et dégagée, » qui serve à la santé, non à la parade et à la curiosité. »

  1. Livre IV, p. 205, Platon, trad. Cousin, t. IX.
  2. Livre II, p. 104.