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ses habitudes particulières d’action, restera inaltérablement fidèle aux obligations fondamentales de l’alliance, et que le système actuel, conduit avec cette prudente modération, subsistera longtemps pour la sûreté et le repos de l’Europe »


Cette lettre est surtout remarquable, parce qu’elle nous révèle l’idée qu’un homme d’état aussi éclairé et aussi bien informé que lord Londonderry se faisait alors des dispositions de l’empereur Alexandre et de la nature des argumens par lesquels on avait le plus de chances d’agir sur son esprit. Je n’ai pas sous les yeux la réponse de l’empereur ; il y affirmait que l’opinion unanime du peuple russe se prononçait énergiquement pour une guerre immédiate contre la Porte, et qu’il n’avait pu résister jusqu’à ce moment à un entraînement aussi universel sans compromettre sa popularité.

Quelques mois plus tard, le 14 décembre, lord Londonderry écrivit à sir Charles Bagot, ambassadeur d’Angleterre à Saint-Pétersbourg, une lettre destinée à être mise sous les yeux de l’autocrate, et qui reproduisait en termes plus pressans l’ordre d’idées développé dans celle que je viens de citer.


« En réfléchissant, disait-il, à l’état présent des affaires en Grèce dans leur liaison avec celles du reste de l’Europe, et on peut dire du monde, il est impossible que l’empereur de Russie ne soit pas frappé du caractère critique de la résolution qu’il a à prendre. Je veux essayer de vous exposer cette situation telle que je la conçois… C’est pourtant un sujet dans lequel je ne veux pas entrer officiellement. Je le traiterai brièvement dans une lettre particulière, et si votre excellence juge à propos d’en toucher quelque chose à l’empereur, je pense qu’il vaudra mieux ne le faire que de vive voix.

« Le premier point qui mérite d’appeler la considération attentive de sa majesté impériale, ce sont les progrès continuels du mouvement révolutionnaire sur le continent américain. Les événemens de ces derniers mois à Mexico, au Pérou, à Caracas et au Brésil ont presque décidé que les deux Amériques grossiraient la liste déjà prépondérante des états soumis à un système de gouvernement fondé sur une base républicaine ou démocratique. Un esprit analogue s’avance en Europe à pas de géant ; l’Espagne et le Portugal sont lancés dans le tourbillon d’une convulsion semblable. La France vacille dans sa politique entre des vues et des intérêts extrêmes, les uns et les autres sérieusement et peut-être également menaçans dans leur nature même pour sa tranquillité intérieure. L’Italie, y compris les états du roi de Sardaigne, bien qu’arrachée pour un temps des mains des révolutionnaires, n’est contenue que par la présence de l’armée autrichienne d’occupation, et ne fait, on peut le craindre, que des progrès bien lents dans la reconstruction d’un système de gouvernement indigène propre à assurer contre ces mêmes révolutionnaires une existence indépendante. — Le même esprit s’est immiscé profondément dans les affaires de Grèce. L’insurrection dont la Turquie d’Europe est le théâtre ne peut, ni dans son organisation, ni dans les objets qu’elle a en vue, ni dans ses moyens d’action, ni dans ses relations extérieures, se