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Les alliés n’ont eu et n’ont encore sans doute aucune hostilité à craindre de la part de la population des Aland, qui monte à seize mille hommes. Les Russes eux-mêmes n’ont pas apparemment compté sur leur concours, puisqu’ils ont brûlé leurs villages et qu’ils les ont chassés dans l’intérieur du pays. Ces paisibles habitans reviendront peu à peu vers le camp des alliés. Ils y paraissent déjà pour vendre quelques marchandises, et les plus pauvres sont attirés par les distributions gratuites de vivres que le général fait faire à la porte de la citadelle, où les Russes ont laissé des provisions de bouche pour toute une année et sept mille sacs de farine. Notre brave armée n’aura pas de peine, on le pense bien, à se concilier ceux des paysans de l’archipel qui s’aventureront à Bomarsund. J’entendais un de ces pauvres pêcheurs raconter, une larme à l’œil, les bons procédés de ces messieurs français qui, en causant avec eux, leur frappaient amicalement sur l’épaule, et dont la gaieté cordiale contrastait singulièrement avec la grimace des Russes, qui leur faisait peur. Ils allaient recommencer à naviguer vers Stockholm ; ils allaient revoir la grande ville, la mère-patrie, qu’ils ne visitaient plus depuis l’occupation russe ; ils y vendraient comme autrefois leur beurre, leurs poissons et leur bois ; l’ancien bon temps était revenu !

Bomarsund prise, l’archipel des Aland est enlevé aux Russes ; la population ne se soulèvera pas pour eux. Ce n’est pas que les Alandais soient incapables de s’armer et de combattre pour défendre leurs droits ; mais c’est que, Suédois d’origine et de langage, ils n’ont pas adopté un seul instant la civilisation ni la langue de la Russie, et que les souvenirs de 1808 sont encore vivans parmi eux. Un vieillard demandait, il n’y a pas bien longtemps, dans l’île d’Aland, quand donc la paix serait signée pour délivrer son pays de l’ennemi, c’est-à-dire du Russe qui l’avait occupé en 1808, momentanément sans doute.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler comment les Alandais ont reçu les Russes la première fois qu’ils sont entrés dans l’archipel. C’est un curieux épisode, peu connu, même dans le Nord. C’était le 12 avril 1808. En deux mois, le général comte Buxhovden avait déjà conquis toute la Finlande méridionale. Il avait compris de plus que, pour toute expédition militaire dans le nord de la Baltique, l’occupation des Aland fournissait une base d’opérations naturelle, un lieu de dépôt et des rades utiles, et, les Russes espérant bien dès lors conserver la Finlande, ces îles devenaient encore un précieux boulevard contre la Suède, une des clés de la Baltique et, à l’occasion, un acheminement vers d’autres conquêtes. Un corps de cent vingt hommes occupa donc la grande île d’Aland le 12 avril, sous le commandement du général Nejdbardtj un autre de cinq cents hommes, sous la conduite du colonel Vuitsch, s’établit dans l’île de Kumlinge, située plus à l’est. En même temps des postes de Cosaques, dispersés dans les différentes îles de l’archipel, durent surveiller et au besoin contenir la population. L’arrivée des étrangers étonna les habitans des Aland sans leur faire concevoir d’abord l’idée d’une résistance qui paraissait impossible ; mais le commandant russe parut avoir pris à tâche d’exciter leur révolte. Il fit publier le 3 mai les ordres suivans : « Tous les bateaux de première et de seconde grandeur devaient être, dans l’espace de vingt-quatre heures, mis en état de prendre la mer et amenés dans les