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la résidence dans le chef-lieu de son gouvernement, le jeu, les galanteries, la mauvaise conduite de sa maison, ruinaient le comte de Grignan ; en second lieu, l’indolence et le caractère peu sociable de sa femme, sa hauteur et la nature spéculative de son esprit, faisaient qu’elle préférait la solitude, ou, si l’on veut, le calme de la vie de famille aux salons et à l’étiquette cérémonieuse de la vieille cité parlementaire. Situé dans un pays d’un aspect grandiose, mais sauvage, bâti sur le versant d’un coteau escarpé, le château de Grignan dominait un bassin où deux petites rivières traçaient leur sillon d’argent. Par son emplacement, il avait conservé le caractère de forteresse que ses fondateurs s’étaient particulièrement préoccupés de lui donner ; mais reconstruit au XVIe siècle, en pleine renaissance, le château moderne offrait toutes les grâces, tout le fini et la délicatesse de l’architecture à cette époque. Le château se composait d’un grand corps de bâtiment à trois étages, embellis de balcons circulaires et de deux ailes latérales. Une cour intérieure, fermée de trois côtés seulement, et dont les façades étaient ornées avec une extrême richesse, était ouverte à l’occident. À l’un des angles se trouvait la tour du beffroi que surmontait un dôme élégant, et au pied de laquelle une entrée menait au vestibule du château, dont la porte ornée de rinceaux à moitié gothiques laissait voir, dans un large écusson, les armes de la famille de Grignan et sa fière devise : MAI D’HOUNOUR QUE D’HOUNOURS (plus d’honneur que d’honneurs). Les vastes salons et les pièces d’apparat ouvraient sur la façade méridionale. De là, l’œil plongeait dans la plaine et voyait se dérouler au loin les montagnes aux tons rougeâtres, aux flancs dénudés, aux formes aiguës, tourmentées, qui formaient l’horizon, « Nos montagnes sont charmantes dans leur excès d’horreur, écrivait Mme de Sévigné au milieu du rigoureux hiver de 1695 ; je souhaite tous les jours un peintre pour bien représenter l’étendue de toutes ces épouvantables beautés. Contez un peu cela à notre duchesse de Chaulnes, qui nous croit dans des prairies avec des parasols, nous promenant à l’ombre des orangers. » Juxtaposée au rocher immense, sorte de promontoire sur lequel le château s’élevait, l’église, formée d’une seule nef, atteignait le plateau où il était bâti, et servait de prolongement à la terrasse qui l’entourait. Quelques marches conduisaient de cette terrasse à la tribune de l’église. Cependant le temps avait marqué de son empreinte le château du XVIe siècle, que le comte de Grignan entreprit d’ailleurs d’agrandir et de réparer. Deux de ses frères, l’archevêque d’Arles et l’évêque de Carcassonne, s’engagèrent à faire bâtir à leurs frais une aile orientale. On chercha en même temps à faire disparaître toutes les traces d’architecture gothique que le château conservait encore et à lui donner l’aspect monumental d’un palais. Le comte