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et l’invention, les recherches inédites et l’imagination s’équilibrer plus heureusement que dans cette prétendue autobiographie. On y vit de la vie du temps qui est décrit, on s’y nourrit exclusivement des idées qui avaient cours, on entend le langage qu’on y parlait. Tout cela est reproduit avec une recherche savante qui ça et là peut-être laisse entrevoir l’intervention laborieuse de l’écrivain, mais qui se déguise la plupart du temps de manière à égarer l’esprit et à faire croire qu’on lit effectivement un mémorial de famille retrouvé par hasard en Amérique, dans les papiers d’un colon venu d’Angleterre, et mort depuis l’année 1740.

La série de faits qui a produit cette expatriation est justement le sujet du livre. Par suite d’événemens dont il faut chercher les complications détaillées dans le roman lui-même, Henry Esmond, fils très légitime de Thomas, troisième vicomte Castlewood, a été élevé comme par charité, comme si une barre de bâtardise déshonorait son jeune blason, chez son père, marié en secondes noces, — après un premier hymen très légal, mais resté secret, — à une vieille cousine, l’héritière unique du nom et du titre. On le présente à elle comme fils naturel de son époux, et comme tel elle l’accepte pour page, le fait élever, lui laisse porter le nom de famille. Henry, durant toute sa première jeunesse, ignore le mystère de sa naissance et se croit tout simplement le filleul de lord Castlewood. Quand celui-ci vient à mourir sans l’avoir reconnu, le domaine passe à une autre branche de la famille, à un autre lord, à une autre lady Castlewood. Cette dernière est belle, aimable, d’un caractère contenu, mais accessible à la passion. Bientôt négligée par son mari, elle refoule en son cœur les chagrins qu’il lui cause et se voue à l’éducation des trois enfans à qui elle se doit : Henry, qu’elle croit le fils naturel du troisième vicomte, et qu’elle élève selon l’humble destinée à laquelle elle le suppose réservé ; Frank, son fils à elle, l’enfant gâté de la maison, aux pieds duquel, en sa qualité d’héritier unique, tout le monde est à genoux, et enfin la petite Béatrix, charmante enfant dont les caprices mutins et la beauté précoce font la joie et l’orgueil de son père. Entre ces quelques personnages, dans le sein d’une famille si peu nombreuse, le temps fait éclore peu à peu des complications de tout ordre. Lord Castlewood, qui n’était qu’un imprudent jeune homme, un père de famille assez peu rangé, un mari médiocrement attentif, se gâte avec l’âge, et se laisse aller aux dissipations de la capitale, aux fréquentations dangereuses, aux passions ruineuses qu’elles engendrent. Il est d’ailleurs fortement compromis dans les complots formés pour la restauration des Stuarts. De là mille incidens divers où Henry, le page de lady Castlewood, trouve l’occasion de déployer une fermeté précoce, un courage à toute épreuve, un dévouement