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faux semblans, et dans l’honnêteté, même de bon aloi, celle qui a l’intérêt seul pour mobile. L’hypocrisie pour elle a peu de mystères, et lui sert d’enseignement perpétuel. Elle met en pratique, elle applique à la direction quotidienne de ses actes et de ses paroles les dogmes de misanthropie raffinée que l’on admire quand Timon ou Alceste se chargent de les développer, et qui deviennent des crimes quand un individu, dominé par la logique, veut les traduire en réalités quotidiennes dans ses rapports avec le genre humain. Becky en somme n’a guère qu’une règle d’appréciation : elle adore la force, elle méprise la faiblesse, et ceci en elle-même comme dans les autres. Son mari, par exemple, l’adorait ; elle l’a payé de mépris et d’outrages tant qu’elle l’a vu à ses pieds ; il se relève un jour, la maltraite, la vole et la déshonore : elle lui sait presque bon gré de cette vengeance énergique, il s’est par là relevé à ses yeux. Ce trait de caractère et quelques autres encore rachètent ce qu’il y aurait de trop odieux dans une perversité absolue, et, sans atténuer une physionomie audacieusement accusée, ils lui laissent un cachet de beauté relative sans lequel le regard épouvanté s’en détournerait aussitôt.

Le second de ces romans, Pendennis, peut être regardé comme un résumé des esquisses ou nouvelles éparpillées par Titmarsh dans les recueils périodiques. C’est ainsi que, dès le début, — et le début est ce qu’il y a de plus amusant dans Pendennis, — les amours du héros adolescent avec une actrice plus âgée que lui, — pures amours, entendons-nous, ayant pour but le chaste hyménée, — nous remettent en mémoire ce conte de Our Wives que nous rappelions tout à l’heure. Seulement ici les rôles sont renversés. Arthur Pendennis est le type du jeune homme naïvement enfiévré, qui se donne corps et âme, qu’aucun raisonnement égoïste ne peut retenir, qu’aucune considération mondaine ne peut arrêter, et qui ruinerait fatalement son avenir, s’il n’avait par bonheur un oncle, modèle de savoir-vivre et d’expérience consommée, qui vient fort à propos s’entremettre. Les manœuvres de l’habile major Pendennis, le talent qu’il déploie à faire avorter, sans moyens extrêmes, le bizarre projet formé par son neveu, constituent encore un tableau de mœurs pris sur nature, tableau parfait si quelques touches de caricature outrée n’éclataient sur la toile comme des tons criards, fâcheuses réminiscences du Punch.

Du reste, les observateurs les plus sagaces de la nature féminine reconnaîtront que le type de la comédienne de second ordre n’a jamais été rendu avec plus d’esprit qu’il ne l’est ici. Nous voudrions pouvoir citer la scène où cette bonne et belle miss Costigan (Fotheringay est son nom de guerre) écoute avec une placidité parfaite les brûlantes protestations de son Arthur, alors qu’elle le croit possesseur d’un beau domaine et d’un revenu considérable, — puis