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l’espoir auxquels ils se livraient. L’armée piémontaise avait, à son tour, proclamé le régime constitutionnel, et ce mouvement paraissait d’autant plus formidable, que, dirigé par la haute noblesse et par l’héritier de la couronne, moins encore dans une pensée de libéralisme que dans une préoccupation d’hostilité politique contre l’Autriche, il semblait se rattacher à une vaste conspiration italienne. On apprenait que, de tous les points de la Lombardie, les étudians, les affiliés des sociétés secrètes s’échappaient pour aller joindre les Piémontais. On ne doutait pas qu’un mouvement analogue ne se manifestât dans les autres parties de la péninsule, et déjà l’on croyait voir l’armée autrichienne, enveloppée de toutes parts, succomber sous les masses populaires appuyées par les armées sarde et napolitaine. À Milan, le vice-roi se préparait à une retraite qui pouvait devenir inévitable. En France, l’émotion ne fut guère moins grande, lorsqu’on apprit les événemens de Turin. Les passions politiques, excitées par les luttes violentes de la tribune, étaient arrivées au dernier degré d’exaspération. Les départemens de l’est s’agitaient. Des émissaires du carbonarisme les parcouraient dans tous les sens ; les bruits les plus alarmans y étaient répandus avec affectation ; on parlait d’une révolte victorieuse à Paris, de l’abdication du roi, de la régence du duc d’Orléans, du drapeau tricolore arboré, de la constitution de 1791 proclamée. Le parti révolutionnaire croyait toucher au moment de reconquérir par la force le terrain que les précédentes élections lui avaient enlevé, et la terreur dont ses adversaires donnaient des signes non équivoques semblait justifier sa présomption. Les ultra-royalistes, si confians naguère et qui ne cessaient de harceler le pouvoir pour l’entraîner aux plus imprudentes exagérations, étaient tombés dans un profond abattement ; un de leurs chefs proposait de voter précipitamment le budget pour que les chambres pussent ensuite se séparer, laissant au gouvernement le soin de pourvoir au salut commun. Dans le conseil même, on délibérait sur la question de savoir s’il n’y avait pas lieu d’ajourner les chambres, et de recourir momentanément à des ressources extraordinaires. L’Allemagne n’était pas moins troublée ; l’expédition autrichienne contre Naples y avait été vue généralement avec peu de faveur ; tous ces gouvernemens germaniques, que la main puissante de l’Autriche protégeait seule contre les entreprises du libéralisme, tremblaient du sort qui les menaçait, si elle venait elle-même à succomber ; la Prusse surtout, cet ardent foyer des sociétés secrètes, redoutait une insurrection de la landwehr, peut-être de l’armée, et le cabinet de Berlin ne dissimulait pas ses regrets de s’être laissé entraîner, par complaisance pour la cour de Vienne, à prendre aux délibérations de Troppau et de Laybach une part qui maintenant lui paraissait bien