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Les jours suivans, la situation se complique encore. Il faut entendre les doléances de mistress Ponto sur le manque absolu de voisinage. « Le duc est absent, les Ringwood n’arriveront qu’à la Noël, on est à couteaux tirés avec les Carabas… » Ainsi que le fait remarquer humblement Titmarsh, on pourrait voir le médecin, qui est un homme réellement instruit, et de plus un excellent bomme… - En effet on pourrait l’inviter, lui, mais sa famille,… une femme si commune, avec une horrible collection de marmots. — Et le propriétaire de cette belle maison en briques… ? – Ah ! fi donc ! M. Yardley, un ex-fabricant de cotonnades !… On a baptisé sa maison le château Calicot. — Et le curé, le digne docteur Chrysostôme ?…


« — Ici, dit Tilmarsh, mistress Ponto jeta un regard à miss Wirt, qui le lui rendit. Après ce muet échange, elles secouèrent toutes deux la tête, et de quel air ! puis elles levèrent les yeux vers le plafond. Ainsi firent très exactement les deux demoiselles. Tout le monde était en émoi. J’avais dit évidemment quelque chose de terrible. — Hélas ! pensai-je, encore une brebis galeuse au sein du troupeau ecclésiastique ! — Et cette idée m’attrista quelque peu. En effet, — je l’avoue sans le moindre scrupule, — je respecte en général la soutane.

« — Est-ce que… est-ce qu’il y a quelque chose à dire ?

« — À dire ? répéta mistress Ponto, qui joignit en même temps les deux mains par un geste tragique.

« — Oh ! s’écrièrent miss Wirt et ses deux élèves avec un ensemble tout à fait choral.

« — Eh bien ! vrai, j’en suis fâché, repris-je. J’ai vu rarement meilleure tournure et physionomie plus distinguée, rarement une école mieux tenue, rarement aussi ai-je entendu un meilleur sermon…

« — Ces sermons, il les prononçait naguère, en surplis, murmura aigrement mistress Ponto. Le docteur Chrysostôme, monsieur, est un puseyiste[1].

« Sur ce mot, et tandis que j’admirais le zèle épuré de mes quatre théologiennes, le domestique apporta le thé : — thé sans force et qui doit peu déranger le sommeil du maître de céans. »


Ces derniers mots sont une allusion maligne à la prétention qu’affiche le major Ponto de se lever de très bonne heure et de travailler énormément dans son cabinet. Ce cabinet, meublé de vieilles bottes, d’engins de pêche, de harnais, ne semble guère favorable aux labeurs intellectuels. Le fait est que Ponto y dort une bonne partie de l’après-midi, et que le soir, du dîner à la prière, il ne fait qu’un somme. On voit qu’il peut impunément être debout à l’aurore.

Nous n’entrerons pas dans le détail de l’espèce de vendetta qui

  1. le docteur Pusey, d’Oxford, -homme irréprochable d’ailleurs et plein de savoir, — avait introduit dans l’église anglicane des doctrines qui ont été condamnées par ses supérieurs comme inclinant au catholicisme.