et aux heures de joie folle, des bribes du Roman de la Rose, ou des extraits du Champ vertueux de bonne vie. L’avocat ne voulait pas négliger toutes ces sages et discrètes personnes, tous ces honorables et sages maîtres, hauts et puissans bourgeois, vieux échevins ou anciens maîtres jurés des grands métiers. Ils avaient été les contemporains de son aïeul et les protecteurs de son père ; ils lui disaient les relations et les vertus de son lignage, et racontaient, à la honte des jeunes gens d’alors, les merveilleuses histoires du temps de leur petite jeunesse. Toutes ces histoires, depuis les traditions guerrières de Reims jusqu’aux légendes pieuses. Guillaume les reconnaissait encore : c’étaient elles, nous l’avons dit, qui, en compagnie des mystères, avaient bercé son enfance ; mais ce n’était pas là seulement que Coquillart allait chercher les semences de sa poésie. Il préférait les réunions joyeuses qui avaient toujours été une des grandes distractions de la bourgeoisie, mais auxquelles les circonstances, les conséquences des troubles passés commençaient à donner un caractère nouveau, plus léger et plus licencieux. Les assemblées, les fêtes de confréries, les noces, les accouchemens, les relevailles, tous ces jeux, ces farces, ces ébattemens, toutes ces fêtes de l’hospitalité n’étaient pas seulement les fêtes de la famille. Elles bouleversaient joyeusement tout te foyer domestique, et elles faisaient sortir tout le linge des grands bahuts ; elles remuaient cette argenterie solennelle et ces coupes magistrales, souvenirs des ancêtres, qui ne sortaient qu’aux grands jours, et qu’on respectait dans la bourgeoisie comme s’ils eussent été les portraits de la famille. C’était à toute la parenté, à tout le voisinage, presqu’à toute la ville que de telles fêtes se donnaient C’était là que se racontait la légende dorée de la cité, les médisances, les contes gaillards ; c’était là que venaient se réveiller les échos des caquets de l’accouchée et des grands conciliabules des commères, là qu’on ébruitait tous les grands faits de guerre contre la bourse et la tranquillité des maris. On y récitait les ballades écrites sur les événemens scandaleux, on y dansait les chansons composées contre tel ou telle, et dont un joueur de tabourin s’était emparé pour en faire une danse. Telles étaient les cours d’amours et les chambres de rhétorique des dames rémoises, « si humaines à gens de cour, » comme dira plus tard Coquillart, et qui avaient depuis longtemps la réputation d’offrir aux étrangers « grandes testes et nobles mangiers. » Dans de telles réunions se trouvait à l’aise cet esprit que nous avons signalé chez les anciens Rémois, cette verve agressive, peu féconde, un peu plate, rabâcheuse et accablée sous la lourdeur de la forme, mais parfaite dans les mots, les jugemens courts, les maximes et las sobriquets, évitant alors l’entortillage par une vivacité saccadée et peu grammaticale.
Ces réunions étaient aussi les grands gaudeamus de Coquillart. Il s’en allait oreillant par la ville, observant et préparant les documens de sa future poésie. Dans les réunions populaires, il cherchait « mille mots, mille dicts d’ouvrier, » comme il l’annonce lui-même, les locutions énergiques et joviales particulières à chaque métier. Dans les assemblées plus brillantes, il était à la piste des « paroles sophistiques. » comme il dit encore, c’est-à-dire toujours gaies, mais un peu plus recherchées. Il retrouvait là ces caractères corrompus ou ridicules qu’il avait déjà vus dans son étude de procureur sous