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de l’intelligence en même temps que le repos du corps. La diplomatie bourgeoise avait toujours compris et secondé les vues de cette féconde sagesse. Dans l’intérêt de l’industrie aussi bien que pour éloigner le populaire des agitations politiques, elle avait eu soin de diriger son activité vers les fêtes religieuses, qui réveillaient par des images brillantes la pensée de Dieu, vers les plaisirs publics et les réunions, qui satisfaisaient l’amour du merveilleux et la manie conteuse de nos pères. La nation rémoise, plus que toute autre, aimait ces distractions ; elle n’avait pas, comme la bourgeoisie du nord, des chambres de rhétorique, comme la noblesse du midi des cours d’amour et de plate littérature : sa verve et sa vivacité brutale ne s’accommodaient pas de ces entraves. Cette observation, qui travaillait à l’emporte-pièce, si je puis dire, cet amour de la réalité, mais surtout de la réalité excentrique, désordonnée et joyeuse, tout cela ne se trouvait à l’aise que sur la place, au milieu du bruit, dans les réunions, parmi les commérages. C’est ce qui explique le génie original, indépendant, cynique et réaliste de Coquillart.

Dans la première pairie ecclésiastique du royaume, les fêtes religieuses, on le comprend, étaient fréquentes et remuaient profondément la curiosité générale. Tantôt c’étaient les joyeuses entrées des archevêques, les inventaires et exhibitions des riches chasses et des insignes reliques, les émouvantes cérémonies des conciles, puis cette fête de la Dédicace, qui attirait à Reims cent mille personnes ; tantôt toutes ces processions qui étaient célèbres jusqu’aux marches d’Allemagne, celle de la Fête-Dieu, celle de la Pompelle à Sainte-Timothée, celle du Grand-Bailla, espèce de dragon symbolique de la même famille que la Gargouille et la Tarasque, celle des Pèlerins et de Saint-Christophe à l’église Saint-Jacques, la fête des Etoupes, la procession des Harengs et tant d’autres. Le populaire se ruait à ces processions avec un empressement infini, car il y avait introduit ce mouvement dramatique, ces naïves images qu’il aimait par-dessus tout, et il y avait ainsi posé, grossièrement peut-être, mais énergiquement, le cachet de sa poésie et de son génie.

La bourgeoisie, elle, recherchait dans cet ordre de distractions des plaisirs non moins vifs, non moins agiles, mais un peu plus intellectuels. Sans doute elle ne méprisait pas les bruyans ébattemens de cette fameuse foire de la Couture, qui durait toute une semaine, de Pâques à Quasimodo, et pour la protection de laquelle le pape Alexandre III avait lancé anathèmes et excommunications contre ceux qui attaqueraient les marchands en chemin pour s’y rendre. Elle ne dédaignait pas non plus tous ces exercices du corps qui étaient toujours des occasions de fêtes, les défis entre diverses communes sur le fait du jeu de paume, et surtout les luttes du noble jeu de l’arbalète. Ce gentil jeu « tant noble et plaisant que toutes créatures se doivent réjouir d’en ouïr parler » était parfaitement organisé dans la ville de Reims, rue de Cérès et au jardin du Ban-Saint-Rémy[1], avec son empereur, son roi et son connétable, son cerf d’argent aux cornes dorées, de la valeur de neuf livres tournois, qui était la récompense du plus adroit, et son image de Sainte-Barbe, signe de commandement. Mgr l’archevêque, Jean Juvénal des Ursins,

  1. Quartier de Reims soumis ; ï la juridiction de l’abbé de Saint-Remy.