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situation si délicate ne pouvaient manquer de le faire accuser d’indécision et de faiblesse. L’attitude de l’Angleterre paraissait plus nette, ce qui ne veut pas dire, à beaucoup près, qu’elle fût aussi franche et aussi bienveillante. Le cabinet de Londres, plus que résigné à la destruction de la liberté napolitaine et à l’établissement de la suprématie autrichienne en Italie, ne se préoccupait que d’une seule pensée, celle de mettre à couvert sa responsabilité parlementaire ; représentant d’un gouvernement dont l’origine se rattachait à la révolution de 1688, il ne voulait pas qu’on pût lui reprocher d’avoir laissé énoncer sans contradiction des doctrines qui condamnaient et flétrissaient toutes les révolutions. Dans une communication adressée à l’Autriche immédiatement après le protocole du 19 novembre, lord Castlereagh n’avait pas craint de revendiquer pour les peuples le droit de modifier leurs institutions et même de déposer leurs rois, lorsqu’ils attaquaient les libertés publiques. Plus tard, les cabinets d’Autriche, de Prusse et de Russie ayant envoyé à leurs légations respectives une dépêche dans laquelle ils affectaient de ne pas douter du consentement des cours de Paris et de Londres aux mesures qu’ils venaient d’arrêter, lord Castlereagh s’empressa de protester, par une circulaire qui ne tarda pas à être rendue publique, non-seulement contre cette assertion, mais contre le principe même du droit d’intervention que s’arrogeaient les trois cours ; il déclara que ce principe était contraire à l’indépendance des peuples, dès lors qu’on prétendait le faire dériver d’une théorie générale sur les révolutions, bien qu’il reconnût à chaque gouvernement en particulier le droit d’intervenir là où sa sûreté immédiate ou ses intérêts seraient sérieusement compromis par les actes domestiques d’un autre état.

On peut caractériser ainsi la politique de la France et de l’Angleterre dans cette grande occurrence. — La France, sans approuver les principes posés à Troppau, s’abstenait de les frapper d’une réprobation formelle pour ne pas s’aliéner complètement la Russie, son seul allié, et aussi pour ne pas abdiquer, en se plaçant tout à fait en dehors de l’action du congrès, le droit de s’interposer éventuellement soit en faveur de l’indépendance italienne, soit contre la réaction aveuglément absolutiste dont Naples était menacé. — Le gouvernement britannique, assez indifférent en sa qualité de tory et d’allié de l’Autriche à la liberté napolitaine et à l’indépendance de la péninsule, mais soigneux de ne pas fournir à ses adversaires dans le parlement un texte d’accusation qui eût pu devenir populaire, se bornait à profiter contre une théorie compromettante, et dans sa protestation mène il avait soin d’indiquer que ce qu’il ne pouvait sanctionner comme un principe général, il était disposé à l’admettre à titre d’exception justifiée par les circonstances. Telle est la force