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il s’en abstiendra, mais que le duc doit prendre sur lui-même la responsabilité de la non-exécution de cette mesure. »

On voit que le général anglais ne considérait pas comme impossible que les souverains ordonnassent la mort de leur glorieux captif. Rien ne peint mieux le degré d’exaltation auquel les haines politiques étaient alors parvenues. Il résulte d’une lettre écrite à cette époque par lord Liverpool au duc de Wellington que, dans l’opinion du chef du cabinet britannique, le parti qu’on eût dû prendre, si des considérations tirées de la situation intérieure de la France n’y avaient mis obstacle, c’eût été de livrer l’ex-empereur au roi de France, qui l’aurait fait juger comme rebelle, ce qui ne lui aurait laissé, disait-il, aucune chance de salut.

La conduite du duc de Wellington dans cette grande crise lui fait beaucoup d’honneur. J’ai déjà dit que la restauration des Bourbons avait été l’objet constant de ses vœux, parce qu’il y voyait le seul moyen de rendre la paix à la France et à l’Europe. Il comprit, avec la droiture d’esprit qui le distinguait, que cette restauration, pour avoir des chances de solidité, devait avoir lieu dans des conditions de modération et de sagesse, qu’elle ne devait pas se lier à de trop pénibles souvenirs, et qu’autant que possible il fallait qu’elle parût l’œuvre des Français eux-mêmes. Tous ses actes furent dirigés dans ce sens. Au moment où Louis XVIII mettait le pied sur le territoire français, une rupture avait éclaté parmi ses conseillers. M. de Talleyrand, et avec lui les représentans des idées modérées et des intérêts nouveaux, s’étaient retirés devant l’influence de M. de Blacas et des émigrés. L’intervention du duc de Wellington eut beaucoup de part au revirement qui, avant même que le roi ne fût arrivé à Paris, reporta M. de Talleyrand à la tête du conseil et relégua M. de Blacas dans l’honorable exil d’une ambassade. D’un autre côté, lorsque le duc reçut les commissaires envoyés par le gouvernement provisoire pour lui demander la suspension d’armes qui précéda la reddition de Paris, il s’attacha à leur faire comprendre, tout en leur déclarant qu’il leur parlait comme individu et sans y être officiellement autorisé, que le meilleur moyen qu’eussent les dépositaires du pouvoir de gagner la confiance de l’Europe, c’était de rappeler le roi sans condition avant qu’on ne pût considérer ce rappel comme le résultat des exigences de l’étranger. Il leur dit que tout autre prince appelé au trône de France, quel que fût son rang et sa qualité, serait un usurpateur ; qu’obligé pour s’affermir de distraire les esprits par de grandes entreprises, il n’offrirait pas aux puissances des garanties suffisantes de paix, en sorte qu’elles seraient obligées de lui imposer des conditions plus rigoureuses qu’au souverain légitime. Mettant sous leurs yeux la proclamation