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moindre fondement… Mais la vérité est que tant de partis et même d’individus sont intéressés à la conservation de la vie du roi, et que l’esprit de soupçon réciproque est poussé si loin, surtout en ce qui regarde le ministre de la police, qu’un grand nombre de gens, s’occupant à chercher de tous côtés des informations sur ce qui se passe, recueillent à l’envi les bruits les plus faux, qu’ils ne manquent pas de porter immédiatement aux Tuileries. Ce qui n’est pas douteux, c’est que le mécontentement des officiers licenciés et de l’armée en général s’accroît de jour en jour, qu’un grand nombre de ces officiers est réuni à Paris, et que leurs propos, leur altitude sont de nature à inquiéter le gouvernement et ses amis… Cet état d’alarme continue où le public est entretenu sur la sûreté de la famille royale a produit un autre mal : je veux parler d’une bande de royalistes et de chouans qui, à ce qu’il parait, ont à leur tour menacé la vie des maréchaux et des adhérens de la république et du système impérial. Je suis assez mal informé de ce qui regarde cette bande, mais il est certain qu’on en a conçu quelque alarme… J’imagine que ce sont ces alarmes réciproques qui ont décidé le roi à appeler au ministère de la guerre le duc de Dalmatie, dont les talens ne peuvent être mis en doute. »


Bientôt après, le 15 décembre, le duc de Wellington, sans méconnaître les bons effets produits par la vigueur du nouveau ministre, qui avait déjà obligé beaucoup d’officiers en non-activité à sortir de Paris, disait pourtant que la rivalité existante entre les maréchaux avait empêché que sa nomination ne fût reçue par tous les chefs de l’armée avec la reconnaissance qu’elle aurait dû inspirer. Revenant encore, dans une lettre adressée à son frère, sir Henri Wellesley, sur ce qui lui paraissait la source principale du danger dont la tranquillité de la France était menacée, il résumait ainsi sa pensée : « La vérité est, je crois, que ce peuple est si complètement ruiné par la révolution et que la privation du pillage de l’Europe se fait sentir à lui si cruellement, qu’il ne peut absolument s’en passer. »

J’ai multiplié ces citations, parce qu’il m’a semblé curieux de voir comment un esprit juste, exact, aussi impartial que le permettaient certains préjugés de nationalité et d’opinion, jugeait la situation étrange où la France était en ce moment, alors que l’ancien et le nouveau régime se trouvaient en présence, non pas, comme on les a vus depuis, atténués, modifiés l’un par l’autre, à demi transformés, se touchant et se confondant par mille côtés, mais encore entiers dans leurs croyances, dans leurs haines mortelles et n’ayant ensemble aucune communication morale, en dépit des institutions par lesquelles on avait voulu les unir et les confondre. Les incertitudes, les contradictions même que l’on remarque dans la correspondance du duc de Wellington ne font que rendre plus sensible l’agitation confuse qu’il avait sous les yeux. Tantôt, malgré tant de symptômes effrayans, il voulait croire qu’il n’existait aucun danger réel, ou du moins que ce danger était très éloigné, tantôt au contraire il admettait la possibilité