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ce sujet, et que nous nous soyons décidés à supprimer ce trafic à raison de son inhumanité. On pense que ce n’a été de notre part qu’une spéculation commerciale… Il est impossible d’obtenir l’insertion dans un journal français, quel qu’il suit, d’un article favorable à l’abolition, ou simplement qui ait pour objet de faire voir qu’en la décrétant, l’Angleterre a été déterminée par des motifs d’humanité… On ne saurait donner une idée des préjugés de toute espèce qui règnent ici sur cette question, et surtout parmi les principaux employés des administrations publiques, qui sont nos adversaires les plus prononcés… Le désir de s’assurer le gain qu’on attend de ce commerce n’est surpassé que par celui de dénaturer nos vues et nos mesures, et de déprécier le mérite que nous avons eu en décrétant l’abolition. Le directeur de la marine me disait gravement qu’un des buts que nous avions en vue était de nous procurer des recrues pour notre guerre d’Amérique, et il m’a donné à entendre qu’entre un esclave destiné pour toute sa vie aux travaux agricoles et un soldat engagé pour sa vie, la différence ne valait pas la peine qu’on s’en occupât. »

« Vous verrez par les journaux, écrivait encore le duc de Wellington, à quel point cette affaire agite l’opinion. M. Laine, président de la chambre des députés, dans un discours qu’il a prononcé sur une proposition du général Desfourneaux, s’est attaché à donner au sentiment publie une direction violente, et à accréditer les préjugés existant contre l’Angleterre. Le roi m’a dit qu’il serait heureux de pouvoir faire quelque chose d’agréable au prince régent et à la nation britannique, et que, sans nul doute, il tiendrait ses engagemens, mais qu’il était obligé de tenir compte des opinions de son propre peuple, opinions qui, sur ce point, n’étaient nullement celles de l’Angleterre. »


De tout cela, le duc de Wellington, qui ne mettait pas en doute la bonne volonté du roi et de ses ministres, mais qui reconnaissait la difficulté de leur position, concluait, avec son bon sens ordinaire, qu’au lieu de porter dans cette négociation une vivacité, une insistance qui ne pourraient qu’irriter en France des esprits prévenus, il fallait s’efforcer de les éclairer et de les gagner peu à peu.

Telle était cependant l’impatience des ministres anglais, stimulés par la crainte de perdre la majorité dans le parlement, qu’ils se décidèrent à une proposition bien singulière pour essayer de vaincre cette résistance. On propos, tenu assez légèrement par M. de Talleyrand dans une conversation particulière, avait paru indiquer que le gouvernement français pourrait consentir à renoncer aux cinq années pendant lesquelles il lui était permis de continuer la traite, si l’Angleterre voulait l’en dédommagée par la cession de quelque colonie. Le cabinet de Londres autorisa le duc de Wellington à offrir à la France, soit l’île de la Trinité, soit une somme d’argent destinée à indemniser les intérêts engagés dans la traite. Le gouvernement français répondit que l’idée de concéder un principe pour de l’argent serait certainement très mal accueillie en France par l’opinion publique, qui y verrait quelque chose de contraire à la dignité du pays,