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d’un péril éloigné, qui, avant de les atteindre dans l’avenir, aurait d’abord frappé d’autres intérêts que les leurs. Pour l’Autriche au contraire, les usurpations de la Russie sur l’empire ottoman sont un danger personnel, actuel, pressant, avec lequel elle ne peut attermoyer. En l’atteignant la première, le péril lui assigne le premier rôle dans la résistance. C’est pour elle une question de vie ou de mort.

L’intérêt de l’Autriche a toujours été compris ainsi par les grands hommes d’état autrichiens. Le prince de Metternich, depuis 1821 jusqu’en 1829, a donné un mémorable exemple de cette politique, qui est la politique naturelle de l’Autriche dans la question d’Orient. Nous n’avons pas l’intention de raconter la lutte diplomatique que M. de Metternich soutint seul contre la Russie à cette époque. Il est néanmoins utile de rappeler les principaux caractères de son système. Le chancelier de cour et d’état s’efforça de faire prévaloir trois principes, et ce sont précisément ceux que la France et l’Angleterre ont soutenu depuis un an, et qu’elles défendent aujourd’hui avec leurs armées et leurs escadres : octroi des privilèges des Grecs par la volonté spontanée du sultan, maintien du statu quo de l’empire ottoman placé sous la garantie des cinq puissances, médiation et intervention conciliatrices des quatre puissances dans la guerre engagée entre la Russie et la Turquie, tels furent les trois principes successivement défendus par M. de Metternich. Il n’est pas moins curieux de rappeler avec quelle persistance et quelle hauteur mêlée de colère la Russie les repoussa.

De 1821 à 1826, M. de Metternich lutta sans se lasser pour son premier principe ; ses efforts isolés ne réussirent qu’à faire durer les négociations six ans, et vinrent se briser contre la volonté exprimée de l’empereur Alexandre, « qu’il était impossible d’exiger la soumission des Grecs sans garantie étrangère[1]. » En 1827, M. de Metternich mit en avant son second principe : il fit faire à Paris une proposition confidentielle à M. de Villèle, au comte Pozzo di Borgo et à lord Granville, dans le dessein d’engager les puissances alliées à garantir avant tout le statu quo de l’empire ottoman. Voici comment M. de Nesselrode s’exprimait sur cette proposition dans une dépêche très réservée adressée à l’ambassadeur russe en Angleterre : « Si par hasard cette proposition devait se reproduire à Londres sous d’autres formes, d’une manière directe ou indirecte, votre excellence aura grand soin de n’admettre nulle garantie de ce genre, dans aucun cas et sous aucun prétexte… C’est un ancien et invariable principe de

  1. Dépêche très réservée du comte de Nesselrode au prince de Lieven, 9 janvier 1827. Portfolio, t. V, p. 355.