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Ce sont ces influences, peu nombreuses peut-être, mais actives, puissantes, qui se finit sentir, surtout à Berlin, et qui trouvent par momens comme un naturel accès auprès de l’esprit flottant et inquiet du roi. De là cette série de mesures qui se sont succédé en peu de jours, et qui sont devenues une énigme nouvelle pour l’opinion de l’Europe. C’est d’abord le rappel de M. de Bunsen, ministre de Prusse à Londres, dont les sentimens décidés en faveur de la politique de l’Occident n’étaient point douteux. Bientôt est venu le remplacement du ministre de la guerre, du général de Bonin, qui avait eu l’occasion, dans la discussion récente au sujet de l’emprunt, d’exprimer les mêmes opinions. Le prince de Prusse lui-même, qui passe pour incliner vers les puissances occidentales, a quitté son commandement des provinces du Rhin et s’est éloigné. Aujourd’hui c’est à la chute du président du conseil, de M. de Manteuffel, que travaillent les influences russes. Frédéric-Guillaume n’aime pas les opinions qui s’avouent dans la crise actuelle, il a sa politique ; encore faudrait-il peut-être que ce fût une politique et non une velléité perpétuelle qui n’arrive point à être une volonté, — le mirage d’une imagination impressionnable et mobile. Attaché au tsar, non-seulement par de vieux liens politiques, difficiles à rompre, mais encore par des liens de famille, le roi de Prusse est à la recherche d’un moyen de pacification universelle ; c’est certainement le cas ou jamais de le trouver et de l’offrir à la reconnaissance de l’Europe, qui ne nourrit point, on peut l’oser dire, un amour démesuré de la guerre pour elle-même. Si le roi Frédéric-Guillaume ne trouve pas ce moyen, quelle autre issue, reste-t-il que celle de l’action et d’une action efficace. C’est là sans nul doute que sera ramenée la Prusse, et par la puissance des choses, et par le choix du roi lui-même, et par l’intérêt de l’Allemagne. Déjà, on le sait, l’Autriche est plus ouvertement décidée pour la politique de l’Angleterre et de la France ; elle l’eût été plus encore peut-être sans les hésitations de la Prusse et sans la nécessité de combiner ses efforts avec ceux de la cour de Berlin. On ne saurait méconnaître du reste que les intérêts autrichiens sont plus directement en jeu dans les affaires d’Orient que les intérêts prussiens. Il y a pour l’Autriche des nécessités en quelque sorte personnelles d’action qui n’existent point au même degré pour la Prusse. Telle est aujourd’hui l’insurrection du Monténégro, qui est venue répondre aux excitations de la Russie. Le vladika, le chef de ce petit pays, a proclamé à son tour la guerre sainte contre les Turcs, et l’Autriche a, dit-on, donné l’ordre au général Mamula d’entrer dans le Monténégro au premier mouvement d’hostilité. C’est ainsi que par des considérations de sécurité propre, autant que par l’intérêt de l’équilibre de l’Europe, l’Autriche se trouvera inévitablement conduite à un rôle actif et décidé dans les événemens qui se préparent en Orient. En ce moment même, l’Autriche adresse pour son propre compte un dernier appel à la Russie, en l’invitant à fixer la date précise de l’évacuation des principautés, et sa décision dépendra inévitablement de la réponse du tsar. Quoi qu’il en soit, il reste entre l’Allemagne et les puissances occidentales le lien du protocole du 9 avril ; c’est aux circonstances d’en dégager de plus en plus le véritable esprit et les conséquences.

Mais de tous les élémens de nature à compliquer et à embarrasser la crise ouverte en Orient, le plus triste n’est-il point cette étrange et fatale passion