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la déviation d’un seul type. D’après M. Bérard, il est probable que tout le gros bétail dans les fermes transalléghaniques de la confédération américaine est une race nouvelle provenant de l’union du bison américain avec notre bœuf européen. Est-il même démontré d’une manière certaine que tous les hommes puissent donner naissance à des métis indéfiniment féconds ? L’expérience est impossible à faire, et elle se produit très rarement dans la nature. En général, les métis se mêlent aux peuples qui leur ont donné naissance ; ils s’unissent très rarement entre eux. Enfin ce caractère, admis comme unique base de la classification des espèces, a l’inconvénient d’être d’une vérification impossible dans un grand nombre de cas ; nul nous assure, par exemple, que l’éléphant d’Asie et celui d’Afrique ne peuvent s’unir ? peut-on faire reposer une classification aussi importante sur une expérience toujours difficile et incertaine ? Ce caractère, dont on ne saurait méconnaître l’importance, ne peut donc pas être admis sans contestation comme une qualité nécessaire de l’espèce. Il se rencontre le plus habituellement ; mais, lorsqu’il manque et que d’autres raisons subsistent, il ne faut pas changer la classification. Si l’on découvrait demain que le barbet et le lévrier ne produisent pas ensemble, il ne faudrait pas créer de nouvelles espèces, et de même, si ces chimpanzés, qui se bâtissent, dit-on, des huttes pour y vivre avec des négresses, réussissaient dans l’instinct qui leur est attribué par Buffon, en résulterait-il que les noirs ne sont pas des hommes ?

Quel est donc le caractère spécifique ? Peut-on donner de l’espèce une définition nette et précise ? Existe-t-il même nécessairement des espèces, comme notre esprit est porté à le supposer ? On serait tenté d’en douter, lorsqu’on remarque que les autres divisions de la zoologie, adoptées dans l’intérêt de la méthode et pour porter de l’ordre dans une science très étendue, offrent si peu de difficultés, sont si peu contestées en elles-mêmes, tandis qu’on ne peut ni s’entendre sur le sens du mot espèce, ni déterminer un signe réel et invariable de distinction entre les diverses classes que l’on appelle de ce nom. Cependant il faut reconnaître que tout le monde s’accorde pour admettre des espèces, pour en fixer le nombre, pour représenter par cette dénomination le premier degré de généralité permanente auquel la pensée élève l’individu, — une collection naturelle d’êtres qui ne peut jamais être réduite à l’identité avec une autre collection analogue. Seulement le caractère physique qui doit faire réunir dans une même espèce certains individus n’a pas encore été déterminé d’une manière précise. Cuvier a dit que tous les individus descendus d’un seul couple ou découplés identiques sont de la même espèce. Cela est vrai : c’est bien là, selon nous, ce qu’on doit entendre par espèce, ce n’est qu’alors que la classification devient nette et immuable. Si du reste on n’admet pas ce principe, la question qui nous occupe devient peu intéressante à discuter. On ne recherche s’il y a plusieurs espèces humaines que pour savoir s’il a existé originairement plusieurs couples différens. Mais cette définition, de même qu’une autre analogue donnée par M. de Candolle, ne peut guère servir à la classification, puisque le caractère sur lequel elle repose est impossible à reconnaître directement. Ce qu’il faudrait trouver, c’est un caractère général qui nous indique que tous les animaux dans lesquels on le remarque descendent de parens identiques. Blumenbach disait