se grouper les principaux personnages de l’empire. Je crois très inutile de répondre à cette objection. L’auteur, ne racontant pas ce qu’il a vu, mais les confidences qu’il a reçues, ne pouvait choisir pour son récit un cadre plus heureux que la vie même de M. de Narbonne. Que Napoléon, ses ministres et ses généraux occupent le premier plan, je ne vois là ni un sujet de reproche, ni un sujet d’étonnement. L’auteur a trouvé moyen de rajeunir par les détails intimes et l’accent familier un thème déjà traité tant de fois ; c’en est assez pour que son œuvre obtienne de nombreux suffrages. Il a reçu sans doute bien d’autres confidences sur les hommes et les choses du siècle présent : s’il consent à nous les livrer, il peut s’assurer que les auditeurs ne lui manqueront pas. Il raconte avec trop de vivacité pour n’être pas écouté avec empressement.
La place réservée à M. Villemain dans l’histoire de notre littérature n’est pas difficile à marquer : il occupe aujourd’hui et gardera sans doute longtemps encore le premier rang dans la critique. Personne mieux que lui ne sait animer l’analyse. Si quelquefois on a pu sans injustice lui reprocher un peu de timidité dans l’exposition de ses doctrines, il a racheté cette faute par les services immenses qu’il a rendus à la cause du bon goût et du bon sens. Nourri des lettres antiques, il a compris la nécessité d’élargir l’horizon de sa pensée par l’étude assidue des littératures modernes ; il a multiplié les points de comparaison, et s’est fait, avec un art merveilleux, un goût cosmopolite. Il n’y a pas une nation de l’Europe dont il ne comprenne le génie. On me dira que c’est un don chez lui : un don, je le veux bien ; mais ce don fut demeuré stérile, s’il n’eût été fécondé par le travail de chaque jour. Pour pénétrer le génie des nations qui nous environnent, l’intelligence la plus heureuse ne suffit pas ; il faut se préparer à cette tâche par des épreuves sans nombre. Ce qu’il y a d’excellent dans M. Villemain, c’est que, malgré son érudition, il a conservé toute la jeunesse, toute l’ardeur d’un esprit moins actif que le sien qui n’aurait embrassé qu’un champ plus étroit. Nous voyons trop souvent l’érudition se réduire à la curiosité, et devenir un pur exercice de mémoire. Rien de pareil chez M. Villemain. Il éprouve le besoin de transformer par la réflexion les documens qu’il a recueillis. L’érudition n’est pas pour lui un but, mais un moyen. Eclairé par l’étude des plus grands modèles, lorsqu’il s’agit d’apprécier une œuvre française ou italienne, espagnole ou anglaise, son jugement n’a jamais rien de capricieux ou de passionné, car il possède dans sa mémoire, les types immortels qui doivent le guider. Aussi voyez comme il saisit en toute chose le trait délicat, comme il distingue la vraie grandeur de la bizarrerie ! Passionné pour les beautés de notre langue, esprit français par la clarté, il démêle sans effort tous les mérites d’une œuvre que semble répudier le génie de