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Son récit simple et rapide se grave facilement dans la mémoire du lecteur. Il n’y a pas un trait qui révèle l’écrivain amoureux de sa parole. La forme a presque toujours le caractère de la nécessité ; il ne semble pas qu’elle puisse être changée. Mais à quoi bon insister sur le mérite du style ? Dans cette œuvre austère et savante, c’est la fidélité de la narration, c’est l’élévation des pensées qu’il faut surtout louer. M. Villemain nous accuserait à bon droit de ne pas le prendre au sérieux, si nous vantions la grâce du langage en parlant d’un tel livre. S’il écrivait aujourd’hui l’Histoire de Cromwell, il est probable qu’il modifierait, qu’il réformerait plusieurs de ses jugemens ; il n’ajouterait rien à la valeur scientifique de son premier travail. Ce que j’admire avec prédilection dans ce beau livre, c’est l’alliance permanente de l’érudition et de l’art. Une fois maître des faits qu’il veut raconter, l’auteur s’applique à dissimuler le nombre et la durée de ses veilles ; il nous instruit et nous émeut sans jamais songer à faire parade de son savoir. C’était là le grand secret des historiens de la vieille Grèce et de la vieille Italie. Trop souvent les historiens modernes négligent l’art et s’en tiennent à la science. M. Villemain, en écrivant l’Histoire de Cromwell six ans avant qu’Augustin Thierry n’eût publié l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands, comprenait et tentait déjà, sans autre modèle que l’antiquité, la conciliation de l’art et de la science.

Huit ans plus tard, il annonçait l’Histoire de Grégoire VII. Cette histoire est sans doute achevée. Tous les amis des lettres en souhaitent vivement la publication. Quelques fragmens livrés à la curiosité impatiente prouvent que M. Villemain n’a rien négligé pour approfondir toutes les parties d’un sujet si difficile : étude générale de l’Europe, politique de la cour pontificale, il a tout interrogé avec la même ardeur, la même persévérance. Pourquoi donc ne se résout-il pas à dérouler sous nos yeux ce vaste tableau ? Est-ce qu’il douterait de l’opportunité d’un tel récit ? Aujourd’hui comme il y a vingt-sept ans, l’Histoire de Grégoire VII serait une source féconde de méditations. Les questions posées et résolues par ce pape hardi et rusé ne sont pas de celles dont l’intérêt puisse s’amoindrir. D’ailleurs M. Villemain, en choisissant dans le moyen âge le développement de la puissance pontificale au XIe siècle, n’a pu vouloir chercher dans le passé autre chose que le passé lui-même. Ce tableau, tracé d’une main sûre et savante, ne manquera jamais d’opportunité. La lutte de la cour de Rome contre l’empire n’est pas moins riche en émotions que la lutte de la démocratie contre la royauté. Que M. Villemain ne tarde donc pas plus longtemps à publier son Histoire de Grégoire VII. Depuis vingt-sept ans, il a dû épuiser toutes les sources d’informations ; il a dû mettre en œuvre tous les matériaux