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Quelques jours plus tard (15 mars 1822) eurent lieu à Bologne les noces de l’illustre musicien et de la célèbre prima donna. Les chanteurs Nozzari, Ambrogi et David, ces paladins de sa table ronde, après avoir vaincu tant de fois sous la bannière de Rossini, l’assistèrent en qualité de témoins dans cet acte solennel, dont naturellement les cent voix de la renommée s’occupèrent beaucoup. Le sonnet étant toujours de mise en Italie, il en plut à cette occasion. L’abbé Totola fit à lui seul tout un poème :

Eximia, eximio est mulier sociata marito,
Venturum eximium quis neget esse genus !

Il y eut aussi les épigrammes, les quolibets et les malins articles de journaux. « A la signature du contrat, écrit un de ces annalistes avec assez de prévision de l’avenir morose réservé à cet hyménée, Mme Rossini a voulu engager toute sa fortune à son mari ; c’est dire qu’elle n’aura pas attendu longtemps pour faire une sottise. Comme cette fortune est immense, et que maître Rossini depuis trois ou quatre ans a pris l’habitude de taxer très haut ses partitions, le voilà devenu riche, et nous l’en félicitons, d’autant plus qu’il passe pour beaucoup aimer l’argent ! »


VI. – SEJOUR A VIENNE. – ROSSINI AU CONGRES DE VERONE. – RETOUR A VENISE. – LA SEMIRAMIDE.

Immédiatement après la célébration de leur mariage, Rossini et sa femme partaient pour Vienne. Si l’heureux auteur de tant de chefs-d’œuvre avait pu concevoir quelque trouble et quelque hésitation à l’idée d’aborder la patrie de Haydn et de Mozart, cette terre classique, rivale en tous temps de la mélodieuse Italie, la manière dont il fut accueilli dissipa bientôt tous ses ombrages, A peine le bruit de son arrivée s’était répandu, qu’il devint l’objet des empressemens les plus flatteurs. Lorsqu’il parut pour la première fois au théâtre, dans la loge de l’ambassadeur de Naples, la salle entière se leva, et salua sa bienvenue d’un applaudissement triomphal. Dès le lendemain, il n’était plus question dans la capitale de l’Autriche que du grand maître dont la personnalité avenante, aimable, courtoisement humoristique, la contenance dénuée de prétention, rehaussaient encore le mérite aux yeux des gens du monde. La meilleure manière de fêter un compositeur, c’est de jouer ses œuvres ; les théâtres ne faillirent pas à l’entraînement général, et la Donna del Lato, Cenerentola, Zelmira[1] ne quittèrent plus l’affiche. Réunions

  1. La Zelmira, dont une tragédie française de De Belloi avait fourni le sujet à l’abbé Totola, fut écrite et représentée à Naples en 1822. Le public de San-Carlo, qui s’était montré si peu sympathique aux grandes beautés du Maometto, se ravisant à juste titre cette fois, décerna tous les honneurs du succès a cette partition, où Rossini semble faire un pas de plus dans cette voie de l’expression dramatique, de l’élévation et de la correction du style, de laquelle il ne s’écartera plus désormais. Ses détracteurs eux-mêmes ne trouvèrent à cette occasion que des éloges à lui donner. Nombre de gens, que ses dernières partitions avaient amenés à soutenir qu’il était décidément à bout de verve et de mélodie, et ne faisait plus que rabâcher sa jeunesse, ne purent s’empêcher de se récrier d’admiration en présence de cette richesse d’idées, de ce flot de chants ingénieux et colorés, et surtout de cette animation musicale, de cette vie entraînante à laquelle rien ne résiste. On raconte qu’un critique napolitain, qui s’était depuis quelque temps fait remarquer par sa malveillance, fut tellement mis hors de lui par cette musique enchanteresse, que, rencontrant Rossini après la représentation, il se précipita à ses pieds en s’écriant : « Pardon, divin maître, pardonne-moi de t’avoir méconnu ! » Les feuilles napolitaines, partageant cet enthousiasme un peu immodéré, il faut en convenir, allèrent même jusqu’à prétendre « qu’autant Mosè l’emportait sur ses autres ouvrages, autant Zelmira l’emportait sur Mosè. »