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d’arracher à l’Espagne cette grande proie des Pays-Bas, que d’ailleurs tout est changé, qu’il a bien pu auparavant embarquer le roi de France à pleines voiles dans la guerre, en réservant comme un abri suprême la souveraineté de la Hollande et de la Zélande par un contrat particulier et un article secret au profit du prince d’Orange, mais que, ce prince mort, on ne peut espérer obtenir pour un autre ce qui avait été accordé pour lui ; que le pays, ruiné, démembré, est quasi réduit à la seule ville d’Anvers ; que le peuple est harassé, oublieux des anciens maux, la noblesse ou neutre ou ennemie ; que du reste la Belgique et la Hollande, fussent-elles toutes deux indépendantes (chose impossible !), ne tarderaient pas à se déchirer l’une l’autre ; qu’il ne faudrait qu’une ville, un château, un pouce de terre, un différend, un trafic, un privilège usurpé, pour susciter et allumer une guerre intestine ; que tout bien considéré, il faut rondement et franchement se jeter entre les bras de la France, offrir à son roi toutes les provinces sans excepter la Hollande et sans nulle autre réserve que celle qui concerne la liberté et la pleine indépendance de l’église réformée, car c’était là, même dans ce moment de détresse, le point fixe, résistant, sur lequel Marnix ne transigea jamais. Dociles, comme toujours, à sa voix, les états envoient une députation solennelle chargée d’offrir à Henri III la souveraineté de toutes les provinces.

Quand je vois chez des peuples et en des temps différens tous ces hommes dont la patrie périt, Savonarole, Marnix, Guillaume d’Orange, s’obstiner à invoquer ce nom de France, je me demande si ce n’est pas là une grande charge d’avoir inspiré de pareils espoirs à de pareils hommes ? Quand la nation française se manque à elle-même, combien de mémoires elle offense !

Aldegonde avait clairement prévu que la Belgique restée catholique disparaîtrait de l’histoire pour des siècles ; il considérait comme un bien suprême pour elle d’être liée aux destinées de la France plutôt qu’au cadavre de l’Espagne. Une foi si inébranlable dans la grandeur de notre nation, tant d’obstination à se ranger de ce côté pour y chercher la liberté et le salut, comment n’en serions-nous pas touchés ? Mais ce que cet esprit si pénétrant, si prophétique à tant d’autres égards, si français dans son patriotisme étranger, n’a pu prévoir, c’est que la Hollande seule, abandonnée du monde, surnagerait de l’abîme. Il ne crut pas au miracle d’une république néerlandaise sortant du fond des eaux. Sa foi, si ardente, n’alla pas jusque-là : preuve nouvelle que dans les situations les plus désespérées (et quelle cause le fut plus que celle-ci ?) la sagesse, la raison, la logique humaine jointe à l’inspiration du patriotisme, ne suffisent pas pour conclure ! Au moment où la logique, le sens commun, le génie