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monarchie espagnole préparait un dernier effort De tous les points se dirigeaient à marches forcées de nouvelles troupes d’invasion contre les Pays-Bas. Toutes ces troupes se trouvaient dans la main d’Alexandre Farnèse, duc de Parme, le plus habile général et le plus heureux que l’Espagne eût encore rencontré. Le dernier jour de la révolution semblait arrivé ; son ennemi revenait plus nombreux de chacune de ses défaites.

Dans cette extrémité, le prince d’Orange et Marnix de Sainte-Aldegonde jettent encore une fois les yeux sur la France. Marnix expose dans les états-généraux à Utrecht que le moment est venu de choisir entre la France et l’Espagne. La nécessité oblige d’offrir le gouvernement des Pays-Bas à François, duc d’Anjou, frère de Henri III. Par là, l’indépendance des provinces affranchies sera placée sous la garde de la puissante nation française. En dépit de l’orgueil qui se soulevait contre cette proposition, la nécessité la fait accepter, les états-généraux suivent jusqu’au bout la raison de Guillaume, rendue irrésistible par l’éloquence de Marnix. Chose digne de remarque, dans une situation aussi désespérée, les assemblées prouvent à force de bon sens, d’abnégation, de véritable amour du pays, que les résolutions les plus promptes, les plus énergiques, sont possibles sans qu’on ajourne la liberté. Les états montrent, sous la conduite de leur orateur Marnix, la discipline d’une convention qui respecte au milieu même du combat les formes et les garanties du droit commun.

Qu’était-ce en effet que cette prétendue dictature de Guillaume ? Celle de la raison, du patriotisme, du génie ; d’ailleurs nulle autorité absolue, nulle force effective, pas même de gardes, un seuil toujours ouvert aux assassins, un recours perpétuel aux états, desquels tout dépend ; un conseil, sorte de comité de salut public, qui n’a guère que la puissance de chercher les moyens de vaincre, sans pouvoir en pratiquer un seul, ni dépenser un denier qu’avec le bon plaisir des assemblées.

Marnix est encore une fois chargé par les états de la grande négociation où chacun met un dernier espoir. Le 30 août 1580, à la tête de l’ambassade, il paraît à Plessis-lès-Tours dans la cour de Henri III. À la vue de cette figure fade et flétrie du duc d’Anjou, Marnix put comprendre quel triste appui il allait donner à la révolution, et pourtant dans ses lettres intimes règne un ton de singulière confiance. Est-ce fanatisme pour le sang français ? ou, par-delà le duc d’Anjou, voyait-il Henri IV ?

Aldegonde avait composé lui-même la constitution ou charte de liberté que le prince n’avait fait aucune difficulté de signer : c’est ce qu’il appelait la muselière du prince. Il crut qu’il le tiendrait aisément