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Bernadotte, qui, pour tous les autres membres de la coalition, était un objet de crainte et de répugnance. L’Autriche, la plus hostile de toutes les puissances aux vues du prince royal de Suède, n’en témoignait pas beaucoup plus de zèle pour l’ancienne maison royale de France, et M. de Metternich avait reçu avec une extrême froideur les premières insinuations qui, vers la fin de l’année précédente, lui avaient été faites en sa faveur.

Seule, l’Angleterre n’avait cessé de considérer la restauration bourbonienne comme la meilleure et presque comme la seule garantie efficace du repos de l’Europe. Il était naturel qu’elle mît quelque amour-propre à faire remonter au trône les princes qui, dans leur exil, n’avaient trouvé que sur son territoire un asile assuré, et qu’elle crût se préparer ainsi pour l’avenir une utile alliance. Le cabinet de Londres, sans se laisser décourager par le peu de succès de ses premières tentatives, continuait donc à essayer de rallier les autres puissances à cette combinaison. Lord Castlereagh, dans un de ses premiers entretiens avec M. de Metternich, crut reconnaître qu’avec le temps, si les événemens n’y mettaient pas des obstacles imprévus, il ne lui serait nullement impossible d’obtenir l’assentiment du cabinet de Vienne. Admis quelques jours après en présence de l’empereur François, il reçut de ce prince l’assurance que si Napoléon venait à être renversé, il serait très loin de désirer que son petit-fils, le roi de Rome, fut appelé à régner, la régence que l’âge de cet enfant eut rendue nécessaire pour si longtemps ne pouvant manquer d’imposer à l’Autriche, qui en eût été la protectrice naturelle, un fardeau bien pesant. Exclure à la fois Napoléon et son fils, c’était appeler les Bourbons ; aucun esprit sensé ne pouvait en douter.

Cependant lord Castlereagh, en sondant ainsi le terrain, était loin d’avoir lui-même une résolution complètement arrêtée. On eût dit que, depuis qu’il était entré en France, depuis qu’il voyait les choses de près, la possibilité, la convenance d’une telle entreprise lui paraissaient plus douteuses. Tout en constatant le bon accueil que les populations faisaient presque partout aux armées alliées, il exprimait la crainte qu’on ne s’en exagérât la signification. Suivant lui, cet accueil s’expliquait suffisamment par la lassitude que la France éprouvait du fardeau de la conscription et des impôts, devenu dans ces derniers mois plus intolérable que jamais. Partout où pénétraient les alliés, ces charges accablantes cessaient à l’instant, d’autant plus que les vainqueurs, pour se concilier la bienveillance des populations, s’abstenaient soigneusement de lever aucune contribution de guerre ; il en résultait que les départemens envahis jouissaient d’une exemption absolue dans un moment où le reste de l’Europe pliait sous le poids des sacrifices de tout genre. Qu’ils en ressentissent, qu’ils en témoignassent une grande joie, rien