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Toutefois ce genre d’exploration qui recueille les faits avec l’exactitude du savant, qui les juge avec la souveraine liberté du philosophe, avait été longtemps inconnu. C’est au commencement de notre siècle que l’auteur de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem ouvrit avec éclat la carrière dans laquelle il a été suivi par une foule de voyageurs. A partir de cet instant, les deux grands centres du culte réformé, l’Allemagne et l’Angleterre, ainsi que cette Amérique du Nord, qui semble ne connaître qu’un seul livre, n’ont cessé de jeter sur la côte de Syrie de nouveaux explorateurs. Ce livre unique d’une race énergique se développant sur une terre nouvelle, ce livre qui depuis la chute du paganisme, à la place de Rome, a gouverné l’Occident, n’est autre que l’histoire de la Judée. En effet, à ne l’envisager qu’au point de vue purement humain, la Bible est un beau poème, le récit vivant, animé, plein de concision et de force, des triomphes et des revers d’une nation douée d’un génie étrange et faite pour l’isolement. Dans la variété et l’immensité de ses récits, la Bible embrasse tout, usages civils et religieux, lois, mœurs, climat, configuration, géographie, et devient par cela même le premier et le meilleur guide du voyageur.

Quand la critique moderne s’est prise à envisager la Bible comme un monument d’une merveilleuse originalité, mais qui rentrait dans son domaine, elle a appliqué à cette étude la toute-puissance d’analyse qu’elle devait à cet esprit de libre examen dont elle est de plus en plus pénétrée. De là plus d’un bel édifice scientifique élevé par les mains aussi patientes que hardies de nos voisins d’outre-Rhin. Mais ce qu’il importe de faire remarquer ici (car ce trait caractérise l’archéologie hébraïque et lui fait une place à part), c’est l’absence complète de tous les élémens qui constituent ce qu’on désigne habituellement dans la langue de l’érudition sous le nom d’antiquité figurée. Ce fait, si digne d’être signalé et qui a été proclamé par tous les voyageurs, se trouve confirmé par le témoignage des maîtres de la science, depuis Rosenmüller jusqu’à Gesenius, depuis Michaëlis jusqu’à Ewald.

On comprend sous le nom d’antiquité figurée toute œuvre d’art échappée à la destruction. Quand l’antiquité littéraire semble vouloir nous fuir ou se perdre dans un majestueux lointain, l’antiquité figurée vient se placer pour ainsi dire sous nos doigts. Le souvenir, la tradition, le rêve du passé se sont revêtus d’une forme sensible; ils sont là présens devant nos yeux et nous dominent par la toute-puissance de la réalité, A Herculanum et à Pompéi, l’antiquité figurée descend aux plus infimes détails de la vie, elle n’échappe même à une sorte de vulgarité bourgeoise qu’à force d’élégance et d’art. Vous n’avez qu’à voyager, à parcourir l’Inde, l’Italie, la Grèce : partout vous trouverez des temples, des statues, qui vous parlent éloquemment des magnificences du paganisme. Visitez la Judée, vous y chercherez en vain les restes de sa civilisation primitive et de son antique religion. C’est que la race qui foula d’abord ce sol, comme toutes les races sémitiques, n’avait que peu de goût pour les images et ne s’inocula jamais le culte des beaux-arts. En Judée, si le décor est le même qu’il y a trois mille ans, la scène est vide depuis nombre de siècles. On n’y voit point, comme sur les promontoires de Sicile, comme auprès des flots du Nil, de ces belles ruines qui enrichissent le paysage; point d’édifices au sommet des collines, piédestaux sans