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inaccessibles, à la place d’une nation vivante et indomptée. Au lieu d’effrayer, ce projet, donné en pâture aux esprits, les rassura. On sentit qu’après la défaite il y avait un refuge, et l’on s’attacha à l’océan lointain et inconnu comme à l’espérance.

Toutefois, avant d’en venir à ces extrémités, il restait une entreprise à essayer. A mesure que le péril augmentait, que l’abandon devenait plus flagrant, que la puissance espagnole changeait de moyens sans changer de volonté et de but, la nécessité devenait plus évidente de réconcilier les provinces méridionales et septentrionales des Pays-Bas, les Wallons et les Flamands, et de tourner enfin les forces réunies des deux races contre l’oppresseur commun. Longtemps on avait ajourné cette réconciliation dans la crainte des concessions mutuelles où l’on serait entraîné; mais le jour était venu où l’intérêt de tous parlait plus haut que les rivalités. Il s’agissait de se réunir contre l’étranger; là devait être le salut.

Marnix fut naturellement l’âme de cette grande négociation entre les deux races; personne mieux que lui ne pouvait servir à les rapprocher. Les peuples gallo-romains et les peuples germains se trouvaient aux prises sur le terrain étroit des Pays-Bas. Aldegonde appartenait aux uns et aux autres. Français et Wallon par l’origine, il venait de créer le hollandais comme langue écrite; il montrait dans sa personne, dans son génie, l’alliance la plus intime des Belges et des Néerlandais. S’il ne parvient pas à les réconcilier, qui pourra se flatter d’y réussir ?

Ses premières tentatives furent faites en 1574 dans les conférences de Bréda; mais ces conférences avaient lieu sous l’œil même de l’ennemi. Toute l’habileté de Marnix échoua contre l’impossibilité de se concerter avec les vaincus, lorsque le vainqueur était présent. Il y avait des Espagnols dans le conseil; les envahisseurs présidaient à la négociation; il ne pouvait en sortir qu’une certaine honte chez les opprimés de concourir plus longtemps de leur sang et de leurs armes à la fortune de l’oppresseur. Les Hollandais, libres déjà, s’étaient rencontrés dans le conseil avec les Belges, encore asservis; la liberté des uns rendit plus frappant l’asservissement des autres. Sans doute plus d’une parole fut échangée entre eux à l’insu du maître présent. Depuis cette époque, un désir de réconciliation perce dans les esprits, il ne faut plus qu’une occasion pour le faire éclater.

Cette occasion fut la mort du gouverneur espagnol des Pays-Bas, Requesens. Avant que l’irrésolu Philippe II lui eût donné un successeur, il y eut une sorte d’interrègne dans la domination espagnole; chacun en profita pour revenir à son instinct naturel. L’Espagnol, court au pillage; Bruxelles, Gand, la Belgique presque entière