Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ensuite présentés à l’acceptation de l’empereur, qui désigne et confirme ordinairement celui qui a la majorité des suffrages. Lorsque Edchmiadzin dépendait de la Perse, cette sanction s’achetait à beaux deniers comptans sous le nom spécieux d’un présent que le nouvel élu envoyait au schah et à ses ministres. Souvent deux ou plusieurs compétiteurs se disputaient le patriarcat, qui était adjugé au plus offrant et dernier enchérisseur. Pour faire face à ces exactions et aux avanies dont ils étaient accablés, les catholicos contractaient des dettes énormes, et il est arrivé plus d’une fois que l’impossibilité de les payer ou de satisfaire aux exigences du gouvernement persan, comme aussi la crainte des mauvais traitemens, les contraignaient à quitter furtivement leur résidence et à prendre la fuite.

Le gouvernement religieux des Arméniens dans l’empire ottoman est fondé sur les mêmes principes que celui d’Edchmiadzin. Le patriarche de Constantinople a auprès de lui un synode (iéguéghetsagan joghov) qui partage avec lui l’administration des affaires ecclésiastiques, et qui est de vh membres, dont 12 appartiennent au clergé et 2 sont laïques. L’un de ces derniers remplit les fonctions de secrétaire, le vicaire du patriarche (athoragal) celles de président. Ce synode se renouvelle tous les deux ans par la voie de l’élection. Les principaux de la nation (amiraïk) et les délégués des corporations d’états, convoqués au palais patriarcal, viennent prendre part au scrutin. Le patriarche est aussi élu par le vote populaire; mais il ne prend possession de sa charge qu’après avoir reçu l’investiture du sultan. Le titulaire actuel est Mgr Agop (Jacques), et son vicaire Mgr Thaddée.

On sait qu’il est admis en principe par la Porte que les populations de l’empire qui professent un culte autre que l’islamisme n’ont d’existence légale qu’à titre de communions, expression synonyme pour elle de nationalité. Les Grecs et les Arméniens ont pour représentans auprès d’elle leurs patriarches, et les Juifs leur hakam-bachi, reconnus comme leurs chefs responsables, investis d’une magistrature à la fois religieuse et civile. C’est en cette qualité que, dès le début de la guerre actuelle, ces deux patriarches et le hakam-bachi ont dû offrir au sultan leur garantie, chacun pour ses nationaux[1]. Leurs

  1. Voici comment s’est faite, il y a quelques mois, cette démarche du patriarche arménien de Constantinople vis-à-vis du gouvernement turk et l’incident auquel elle a donné lieu. A l’instigation de Rechid-Pacha, un Arménien se rendit chez le patriarche pour l’engager à rédiger et à envoyer à la Porte une déclaration dans laquelle il exprimerait le dévouement des Arméniens envers le sultan, et la promesse de leur concours dans les conjonctures actuelles. Le patriarche ayant consenti à faire ce qui lui était demandé, la déclaration fut rédigée et reçut la signature des membres du comité national et des chefs des corporations d’états, puis elle fut portée à Rechid-Pacha par le patriarche lui-même, accompagné de cinquante notables tant ecclésiastiques que séculiers. Rechid-Pacha, après l’avoir lue, répondit tout haut que le gouvernement n’avait aucun besoin pour le moment des Arméniens, mais que si leurs services devenaient nécessaires, il les en ferait avertir. En même temps il dit confidentiellement à celui qu’il avait chargé d’agir sur le patriarche qu’il n’avait eu d’autre but, en faisant intervenir ce dernier, que de dissiper les soupçons des Turks à l’égard des Arméniens, qu’ils supposaient beaucoup plus favorables aux Russes que les Grecs, et qui s’apprêtaient à leur faire un mauvais parti. Au bout de quelques jours parut un décret du sultan qui obligeait les Arméniens à fournir 2,500 chevaux à l’armée. Les principaux de la nation voulurent répartir cette contribution entre tous leurs compatriotes et la faire peser principalement sur la classe la plus nombreuse, celle des ouvriers. Ceux-ci, mécontens, éclatèrent en murmures, prétendant que, puisque les notables s’étaient entendus avec le patriarche pour remettre une déclaration à la Porte, ils eussent maintenant à s’arranger ensemble pour payer. C’est ainsi que cette contribution est retombée en très grande partie sur le patriarche et sur quelques banquiers. Le premier a donné deux chevaux, et les autres cinq chacun. L’opinion des Turks sur le compte des Arméniens n’était nullement fondée; mais depuis lors elle a changé, surtout lorsque le Djeridéi Havadis eut répandu à dessein la nouvelle apocryphe que le tsar, soupçonnant les Arméniens de son empire de pencher pour les Turks, avait fait mettre en prison le catholicos d’Edchmiadzin.