Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la sphère des idées religieuses. Les catholiques et les dissidens forment deux camps séparés, souvent ennemis, déplorable animosité entre enfans d’une même patrie, qui a eu pour conséquences d’attirer plus d’une fois sur eux les avanies, les persécutions et la mort. Les catholiques eux-mêmes se sont scindés en deux partis, les uns attachés à leur liturgie et à leur rite particuliers, les autres dévoués à la liturgie et au rite latins. Le bruit des querelles de ces deux partis retentissait naguère jusque dans les journaux européens, et le saint-siège, pour y mettre un terme, s’est vu forcé de condamner deux des brochures lancées de part et d’autre, comme écrits calomnieux au premier chef[1]. Espérons que le bref que vient d’adresser le souverain pontife à la nation arménienne ramènera définitivement la paix et l’union parmi les catholiques, et que cet appel à la conciliation sera entendu en Orient.


III.

Ce que je viens de dire des dissidences qui se sont produites parmi les Arméniens m’amène à les considérer maintenant sous le point de vue religieux. Il sera d’abord question de l’église qui rallie la grande majorité de la nation, l’église arménienne orientale. Je l’appelle ainsi parce qu’elle a son siège principal, — le patriarcat d’Edchmiadzin, — dans l’Orient, et qu’elle proclame sa séparation de l’église occidentale ou romaine. Les Arméniens lui donnent eux-mêmes la dénomination d’église grégorienne, comme possédant la succession des catholicos ou patriarches universels, dont saint Grégoire l’Illuminateur ouvre la série. Cette question des doctrines de la communion grégorienne est assez difficile et délicate à traiter à cause des débats passionnés qu’elle a soulevés, et parce qu’elle a été singulièrement dénaturée par une intelligence insuffisante des textes sur lesquels la discussion a été appuyée. Pour me tenir aussi près que possible de la vérité, je m’attacherai à ne rien avancer qui ne soit admis par les théologiens arméniens les plus accrédités, et qui ne soit contenu dans la profession de foi sanctionnée par l’autorité du patriarche.

L’un des dogmes fondamentaux du christianisme, le dogme de l’incarnation, est celui qui, pendant le cours des cinq premiers siècles de notre ère, suscita les opinions les plus diverses en dehors de la doctrine orthodoxe. Les gnostiques et les manichéens, Arius, Paul de Samosate, Apollinaire, Théodore de Mopsueste, et, après eux, Nestorius et Eutychès, en proposant, chacun à son point de vue, une interprétation de ce que la foi chrétienne proclame un mystère,

  1. Décrets de la congrégation de l’index des 5 et 6 septembre 1853.