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est accrue. Divine dans son origine, la religion est humaine dans l’homme, c’est-à-dire comme croyance et comme sentiment. À ce titre, elle comporte toutes les diversités de notre nature. Celles-ci sont tellement puissantes, tellement indestructibles, que l’inflexibilité même, ou réelle ou prétendue, du catholicisme les admet en une certaine mesure.

Dans les jours heureux de l’église, aux siècles qui ont précédé le nôtre, la variété des églises nationales ouvrait un large champ à l’inquiétude de la pensée religieuse. Le temps n’est pas loin où l’on eût assurément noté plus de différence entre un catholique français et un catholique espagnol qu’entre quelques-unes des sectes qui divisent l’Angleterre. Dans le même pays, on pouvait d’un diocèse à l’autre changer d’enseignement, et, sous quelques rapports, de liturgie et de discipline morale. Des ordres nombreux, mais tous respectés, étaient animés d’esprits différens. L’élève de l’Oratoire entendait d’autres leçons que l’élève des jésuites. Le janséniste, le gallican, le sulpicien, le moliniste, représentaient des nuances assez marquées pour ressembler à des sectes diverses. Quand Pascal dit que l’inquisition et la société de Jésus sont les deux plus grands ennemis de la vérité, lorsqu’il tient pour condamné dans le ciel ce que condamne son livre condamné à Rome, quand M. de Maistre déclare Bossuet protestant, s’il n’a pas abjuré la doctrine exposée dans sa défense du clergé français, on ne peut prétendre qu’il y eût dans l’ancienne France une rigoureuse unité en matière spirituelle. Cette diversité, selon moi, c’était richesse et non pauvreté de sainte croyance et de sainte passion ; et si la puissance publique n’avait jamais pris parti dans la controverse, on peut croire que cette liberté de fait eût tourné au profit de la religion. On l’entend autrement aujourd’hui ; on fait la guerre à toute diversité. La nationalité des églises est honnie. La moindre dissidence même dans le rituel est proscrite. Sous les auspices de Rome, partout s’étale un retour au moins extérieur vers l’unité absolue. C’est l’effort ou, si l’on veut, l’affectation de tous. On croit ainsi faire preuve de force. Ce pourrait bien être tout le contraire, et l’avenir nous en apprendra davantage. On ne saurait se tenir assez en garde contre une argumentation par dilemme, bonne dans l’ordre scientifique, mais souvent trompeuse quand il s’agit de l’ordre moral, c’est-à-dire des hommes. La prétention de cette logique est que tout soit, comme on dit, tout un ou tout autre ; or rien n’est ainsi dans le monde, rien sur la terre n’est absolu. De même que les partisans outrés de l’unité ne parvinrent pas à la réaliser, puisqu’au moyen âge même la catholicité était l’empire de la discorde, la liberté n’a pas non plus engendré la division sans terme, et l’examen, pour avoir osé choisir, n’a point