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et la parole tombe dans une âme dont la religion ne nous dissimule pas les infirmités. La foi en Jésus-Christ, suivant les protestans, donne le salut, elle ne donne pas l’infaillibilité. C’en est assez pour les pénétrer d’amour envers la suprême bonté et pour calmer les tourmens de leur esprit, mais pas assez pour les élever à une conception totale et à une expression définitive de la vérité chrétienne. La parole de Dieu nous a été donnée pour nous justifier, non pour nous illuminer de la vision céleste. Il s’agit de salut et non pas de science, d’effacer le péché et non de transformer l’intelligence, et par conséquent les variations de doctrines qui se produisent nécessairement, les différences d’organisation, de langage et même de dogmes, qui ne portent point atteinte à ce dont il est dit : Unum est necessarium, peuvent être des preuves de la politesse ou de la mobilité de l’esprit des chrétiens, mais nullement de la fausseté du christianisme.

Voilà la défense qui peut être opposée du côté des protestans au plus commun reproche de leurs adversaires. Et ce qui prouve que ce reproche est loin d’avoir tant de gravité, c’est que le protestantisme est resté une religion. À entendre nos apologistes, cette instabilité perpétuelle devrait affaiblir la foi, lui interdire la durée avec l’uniformité, la briser, la broyer en quelque sorte en fragmens impalpables, et pulvériser le ciment et la pierre de l’église du Christ. Cela devrait être, mais cela n’est pas. On reconnaît dans son action sur le monde une religion à de certains caractères. Il faut d’abord qu’elle produise pleinement sur l’âme humaine le double effet de satisfaire la raison et d’exciter l’imagination, de réaliser ce mélange de sécurité et d’exaltation qui ne paraît résulter d’aucune science et d’aucune croyance humaine. Il faut encore et surtout qu’elle soit pour la conscience la règle et la sanction sacrée des devoirs, et qu’opposant une armure merveilleuse aux traits des passions, elle divinise en quelque sorte la morale. Il faut enfin qu’elle s’empare assez puissamment de l’esprit de la société pour lui commander un respect général et durable, et pour la dominer comme une loi invisible qui confirme et protège toutes les autres lois. C’est par ces caractères spirituels, moraux et politiques qu’une religion diffère d’une science, d’une philosophie, d’une institution, choses avec lesquelles cependant elle a quelques analogies. Eh bien ! à tous ces titres, par tous ces caractères, le protestantisme est une religion, et j’ajouterai que du consentement universel il est un christianisme.

Chercher sincèrement et selon ses lumières sa foi dans l’Écriture, c’est, j’en conviens, un libre examen, et le libre examen peut entraîner à tout, j’en conviens encore. Il est possible qu’en le pratiquant dans de certaines dispositions, avec de certaines facultés, quelques esprits soient conduits à trouver dans l’Écriture des raisons