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de ce drame permanent naît de ce que le héros, c’est toujours la France c’est-à-dire cette race vive et forte aussi prompte à se relever de ses revers qu’à oublier la sagesse qui les détourne. Le livre de M. Malpertuy est une nouvelle et rapide esquisse de ces annales d’un peuple. Il ne pénètre pas à une grande profondeur, il marque des jalons. Il y domine surtout une sage pensée, celle de montrer que la société française, dans son développement légitime, ne va pas au but que lui assignent les révolutionnaires, que la démocratie n’est point l’égalité chimérique des sophistes, que la civilisation moderne est chrétienne et doit rester chrétienne. Après cela, il resterait sans doute à analyser les élémens constitutifs de la société française, à les représenter dans leur travail ardent et souvent confus. Qu’on le remarque en effet, la société a son histoire, qui n’est point tout entière dans les événemens politiques, dans les chutes des gouvernemens et les révolutions matérielles : elle est dans la lutte des idées, dans le mouvement des mœurs, dans toutes ces nuances de la vie sociale à travers lesquelles on aperçoit tous les problèmes qui agitent la France depuis le XVIIIe siècle. C’est un vaste et puissant tableau tracé jusqu’ici par fragmens plutôt que dans son ensemble.

S’il est un élément inséparable de cette histoire, c’est certainement la littérature. L’esprit littéraire est de moitié dans tous les efforts, dans toutes les luttes de notre temps. Il est l’expression d’un mouvement social auquel il contribue à donner son caractère. Il a partagé toutes les fortunes d’un siècle qui en a compté déjà de si contraires. Comment s’étonner qu’il finisse par se lasser, qu’il ait, lui aussi, ses périodes de faiblesse et d’incertitude ? Telle est en effet l’heure actuelle, qu’il serait difficile de caractériser ce qui domine dans la littérature. Ce n’est point l’enthousiasme novateur et quelque peu révolutionnaire d’il y a trente ans. : ce serait plutôt une réaction ; mais cette pensée de réaction, vague dans certains esprits, a une peine singulière à se formuler, à se traduire en œuvres fécondes, fruits d’une inspiration épurée et rajeunie. Entre ce qui n’est plus et ce qui naîtra sans doute dans ce domaine de l’imagination, fleurissent les petites écoles. Il faut rendre justice à M. Champfleury, il reste inébranlable dans la passion du réalisme, il s’y obstine comme on s’obstine dans les plus heureuses conquêtes de l’esprit. Qu’on ne parle point à M. Champfleury d’un art qui combine ses moyens, qui épure et transforme les élémens dont il se sert, qui cherche à faire sortir du spectacle de la vie humaine quelque lueur de vérité idéale : M. Champfleury, tout entier à la réalité crue et vulgaire, ne veut y rien changer ; il en reproduit les minuties, souvent les grossièretés, puis il croit avoir fait une peinture fidèle. L’école réaliste se moque volontiers des livres qui prouvent quelque chose, qui enseignent directement, comme dit M. Champfleury, l’auteur des nouveaux Contes d’Automne. M. Champfleury ne remarque pas que, pour prouver quelque chose, une œuvre d’imagination n’a nullement besoin de tirer la moralité de chaque page et de procéder par démonstration. La démonstration vivante et palpable, elle ressort de la peinture des passions et des sentimens, de leur juste combinaison. C’est ainsi que toutes les œuvres d’une inspiration véritablement littéraire ont toujours prouvé quelque chose, en quoi elles diffèrent souvent des œuvres de l’école réaliste, malheureusement pour celle-ci. Soit donc, les Contes d’Automne ne prouvent rien ; c’est