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et l’Angleterre marchent en avant. L’Autriche et la Prusse, anciennes et intimes alliées de la Russie, ayant d’ailleurs à combiner les intérêts les plus complexes, sont plus lentes à se décider et à agir, plus persévérantes dans leurs tentatives conciliatrices et dans leurs vœux pacifiques ; puis, à mesure que les circonstances se déroulent et viennent leur révéler l’inutilité de leurs vœux et de leurs tentatives, elles rejoignent les deux puissances occidentales, et l’accord des quatre gouvernemens trouve son expression dans les actes réitérés de la conférence de Vienne.

À quoi viennent aboutir ces deux ordres de faits ? D’un côté, l’accord particulier de la France et de l’Angleterre s’est changé en une alliance de guerre fondée sur le maintien de l’intégrité de l’empire ottoman ; de l’autre, la Prusse et l’Autriche ont signé le 20 avril, à Berlin, un traité spécial basé sur le même principe, et qui rapproche de plus en plus les puissances allemandes d’une action décisive. Aujourd’hui un dernier protocole, arrêté par la conférence de Vienne le 23 mai, vient de relier ces divers actes en constatant de nouveau l’unité de vues et d’efforts entre les quatre gouvernemens, et en assignant aux deux traités un même but, l’intégrité et l’évacuation par les Russes du territoire de l’empire ottoman. Ainsi que le dit le Moniteur, « la convention anglo-française pour une guerre actuelle se trouve rattachée au traité austro-prussien pour une guerre éventuelle. » Voilà comment, en cette phase suprême de la question, l’Autriche et la Prusse rejoignent, encore l’Angleterre et la France dans la mesure d’une politique indépendante.

L’alliance spéciale de la France et de l’Angleterre n’en est plus à manifester son vrai caractère ; elle s’est attestée dans la Mer-Noire par le bombardement d’Odessa, dans la mer Baltique par l’attaque récente qu’a exécutée l’amiral Napler contre les forts d’Hangoe. L’armée de terre anglo-française est arrivée tout entière aujourd’hui en Orient et est en marche peut-être vers le théâtre de la guerre, tandis que l’année russe, passée sur la rive droite du Danube, assiège Silistrie, où elle vient, dit-on, d’échouer. De toutes parts, les hostilités entre les puissances occidentales et la Russie sont donc en pleine voie d’exécution, et quant aux succès des opérations de nos flottes, le cabinet de Saint-Pétersbourg a la ressource de les transformer en défaites.

C’est dans ces conditions et en présence de ces faits que s’est produite la convention austro-prussienne du 20 avril. Or quelle est la portée réelle de ce traité dans les circonstances présentes ? La stipulation principale consacre une alliance offensive et défensive, par laquelle l’Autriche et la Prusse se garantissent mutuellement leurs territoires respectifs allemands et non allemands. En même temps les deux puissances se considèrent comme obligées de protéger les droits et les intérêts de l’Allemagne contre toute espèce d’atteinte, et s’engagent à une défense commune dans le cas où l’une d’elles se verrait forcée de passer à l’action pour protéger les intérêts allemands. L’application de ce principe est réservée à un article additionnel qui spécifie le but de l’alliance et le cas d’une action commune. En vertu de cet article additionnel, la Prusse, ayant déjà adressé une communication au cabinet de Saint-Pétersbourg afin d’obtenir de lui l’assurance d’une prompte sortie des troupes russes du territoire turc, l’Autriche de son côté doit adresser des ouvertures semblables à la cour de Russie pour lui demander de suspendre, tout nouveau mouvement