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un nom ne put l’étouffer, et voici la loi singulière qui en résulta : d’usurpation en usurpation, le stathoudérat se rapproche chaque jour de l’ancienne royauté, sans jamais pouvoir y atteindre. C’est en politique ce que sont en géométrie les asymptotes de l’hyperbole.

Les états montrèrent le même sens dans les choses religieuses. Souverains modérateurs entre les sectes, ils tinrent le catholicisme dans la dépendance et presque dans l’opprobre[1] tant qu’il fut à redouter ; ils lui rendirent avec éclat une demi-liberté dès qu’ils le jugèrent impuissant.

Quoique la population grandît démesurément avec la liberté, la question économique se résolut d’elle-même dans la république de Hollande. On vit là sur une petite échelle ce que l’on voit aujourd’hui aux États-Unis : des bourgs devenir de grandes villes en quelques années, un empire croître à vue d’œil, tous les réfugiés des vieux états grossir la république nouvelle, et la propriété publique ou privée s’augmenter et s’étendre avec la population même. Le champ communal, c’était l’océan, la mer libre, mare liberum.

Un jour pourtant, cette puissance nouvelle, qui affranchissait l’océan, qui refoulait l’Espagne, imposait la paix à Louis XIV, et qui devait donner l’hospitalité à tout le XVIIIe siècle, fut prise d’une grande terreur. On venait d’apprendre qu’un petit ver[2] imperceptible s’était mis à ronger les pilotis des digues sur le bord de la mer. Les Provinces-Unies se crurent perdues ; des prières publiques furent ordonnées dans toutes les églises. Il s’en fallut peu que cette nation victorieuse de l’Espagne, de la France et de l’Angleterre ne disparût devant ce vermisseau qui, sans se déconcerter, s’avançait toujours en rongeant la barrière de l’océan. À la fin, le génie de l’homme triompha de cet éphémère et le força de reculer. L’empire qui avait failli un moment disparaître devant lui reprit orgueilleusement, depuis la Baltique jusqu’à l’extrémité des Indes, le cours de ses prospérités.


XVIII

La même révolution religieuse qui a créé une Hollande politique a créé l’art hollandais, en sorte que l’on a ici le spectacle d’une nation qui, née d’une parole comme le chêne du gland, s’épanouit dans une unité vivante, où la religion, la politique, l’industrie, l’art, ne sont que les formes diverses d’une même pensée.

Depuis la réforme, les scènes de la Bible n’apparaissent plus à

  1. C’est l’éloge que leur donne Grotius. Voyez Pietas Ordinum Hollandioe, p. 4.
  2. On l’appelait ver de mer ou ver à pilotis, 1732. Voyez Histoire de la Hollande et des Provinces-Unies, par Kerroux, t. IV, p. 1159.