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obtenir que ces capitulations ne fussent point appliquées dans leur teneur absolue ; elle aurait pu invoquer en faveur des Grecs, que les capitulations appliquées à la lettre eussent exclus d’un grand nombre de sanctuaires, la possession ancienne et continuée pendant de longues années ; elle aurait pu faire valoir non-seulement les considérations d’équité et de tolérance, mais les raisons politiques qui conseillaient de ne point froisser les intérêts du culte professé par la presque totalité des sujets chrétiens du sultan. Quand on songe aux concessions que la France et la Porte ont faites plus tard à l’intérêt de la paix, sous le coup des provocations les plus blessantes, il n’est pas permis de douter du favorable accueil que des représentations, appuyées sur des motifs si graves et présentées avec une modération persuasive au nom d’un grand souverain, auraient rencontré auprès de la France dont les droits n’eussent point été méconnus, auprès de la Porte dont l’indépendance eût été respectée. Il ne fallait donc qu’un peu de bonne volonté pour arriver à un arrangement équitable. En se contentant de faire disparaître les privilèges exclusifs contraires, pour nous servir d’un mot de M. de Nesselrode, à la parité des cultes, et en établissant par un loyal système de compensation la participation des divers rites aux sanctuaires contestés, on aurait heureusement consolidé le statu quo des lieux-saints et ramené la paix sur le tombeau du Christ.

La Russie n’adopta point ce système. Au lieu d’entrer dans l’affaire avec des dispositions conciliantes, elle débuta par une injonction aussi exclusive et absolue quant au fond des choses qu’insolite et offensante dans la forme. On était, comme nous l’avons dit, à la fin d’octobre 1851. Les conférences de la commission mixte instituée par Aali-Pacha avaient commencé. « Elles avaient établi, écrivait l’ambassadeur anglais, sir Stratford Canning, le droit des Latins à l’occupation exclusive de sanctuaires au nombre de dix, dont la plupart sont maintenant possédés conjointement par les deux communions, et d’autres exclusivement par les Grecs. M. de Lavalette, au lieu de pousser son droit à l’extrême, avait pris sur lui la responsabilité de déclarer qu’il était prêt à étendre le principe de la possession en commun à tous ces sanctuaires. En agissant ainsi, il devançait les instructions de son gouvernement, et s’exposait au blâme de Rome et de certains partis en France[1]. » Un arrangement était officieusement arrêté sur cette base entre M. de Lavalette et Aali-Pacha, lorsqu’arriva à Constantinople la lettre autographe de l’empereur Nicolas au sultan. Cette lettre demandait impérieusement le

  1. Sir Stratford Canning to viscount Palmerston, 1 novembre 1851. Corresp., part I, n° 20.