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récit qu’on vient de lire a pu montrer qu’à côté d’inconvéniens sérieux, elle avait quelques avantages. La solennité dont elle entourait le combat, les formalités qui le précédaient, les difficultés qui souvent le rendaient impossible, étaient autant de garanties contre les abus qu’eût pu faire redouter l’espèce de sanction légale accordée au duel. Aussi que l’on compare un instant l’époque des combats en champ clos à l’époque de désordre qui la suivit, que l’on étudie dans ses diverses applications cette jurisprudence chevaleresque, et l’on reconnaîtra que son influence a souvent été salutaire.

On sait que les combats en champ mortel avaient toujours marché, dans notre pays et longtemps avant Pépin le Bref, de front avec les jugement de Dieu proprement dits, c’est-à-dire avec les jugemens par la froide[1], l’eau bouillante et les fers rouges. La première de ces épreuves était permise à la noblesse, qui seule avait le port et l’usage des armes ; la seconde était réservée aux vilains. Des dérogations à ces principes exclusifs s’y introduisirent cependant avec le temps ; ainsi l’on vit de très grands personnages rechercher spontanément le jugement de Dieu pour prouver leur innocence. Quant au duel entre gens de main morte et de condition servile, il lui aussi toléré quelquefois, mais sous la réserve que les combattans n’emploieraient pas des armes de gentilshommes[2].

Sous les rois des premières races, une bonne partie des duels judiciaires avaient l’honneur des dames pour motif, témoin le combat de Lancelot en faveur de Gondeberge, reine de Lombardie, que raconte Grégoire de Tours ; celui entre Gontran et le jeune Ingelger, comte d’Anjou, qui défendit la belle comtesse de Gastinois, sa marraine ; l’affaire du comte de Barcelone Bernard, accusé d’avoir recherché d’amour l’impératrice Judith, épouse de Louis le Débonnaire ; enfin, mais dans des temps plus modernes, le célèbre duel du sire de Carouge contre Jacques Le Gris, accusateur de la dame de Carouge, et tant d’autres encore.

Malgré les lois de Charlemagne, les duels continuèrent avec fureur et impunité sous le règne de ses successeurs. Cependant, vers l’an 1032 et grâce aux efforts de l’église, cette sanglante passion semble

  1. L’eau froide d’un étang ou d’une rivière. On y jetait le patient pieds et poings liés ; s’il disparaissait, on le déclarait coupable ; s’il surnageait, son innocence était reconnue.
  2. « Les roturiers, dit Favyn, ne pouvoient combattre qu’avec l’escu et le baston simple sans estre ferré ni garny d’aucune alumelle. » Voyez aussi dans Alciat les curieux détails d’un duel judiciaire entre Jacotin Plouvier et Mahuot, deux bourgeois de Valenciennes. Voyez aussi l’ordonnance de l’ancien échiquier de Normandie, et beaucoup d’autres preuves.