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La confiance de Vivonne passait toute mesure. « La Chasteigneraye ne craignoit son ennemi non plus que ung bon le chien[1] ; » mais il fut trompé dans son attente. « Il se montra grandement coupable, dit Montluc, d’outrecuidance et de vanterie ; il passa fort légèrement par l’église et la messe avant le combat. Il eut peu de souci d’implorer son Dieu et de l’appeler à son ayde. Quant à Jarnac, il ne faisoit autre chose que hanter les églises, les monastères, les couvens, faire prier pour luy et se recommander à Dieu, faire ses pasques ordinairement, et surtout le jour du combat, après avoir ouy la messe très dévotement. Du despuis, il s’en désista bien pour accomplir le proverbe : Passato il pericolo, gabbalo il santo[2] ; car il se fit huguenot très ferme. »

Quelques jours avant le combat, le roi et toute sa cour s’étaient rendus à Saint-Germain-en-Laye. Henri II voulut que le champ clos eût lieu dans cette ville, et décréta qu’il y assisterait. Le connétable, sire de Montmorency, ordonna toutes les mesures nécessaires, et choisit pour le champ un préau situé vers la partie orientale du château, dans l’endroit où se trouve aujourd’hui le boulingrin. Le sire de Montmorency était encore connétable en 1559, et présidait conséquemment au tournoi où Henri II fut blessé à mort par M. de Lorges, sire de Montgommery. On donna aux estacades les dimensions indiquées par les règlemens[3] ; des tribunes furent élevées parallèlement à la grande face des barrières ; les deux tentes ou trefes[4] des combattans furent placées à la droite et à la gauche du roi aux deux extrémités de la lice : les tourelles des poursuivans d’armes, aux quatre angles de l’enceinte ; celle du roi d’armes avait été pourvue de son échelle. Il avait été nécessaire aussi de prendre des mesures extraordinaires de police pour empêcher la foule d’envahir l’enceinte réservée, car une multitude immense était arrivée, dès le matin, de Paris à Saint-Germain, attirée par la curiosité et par un temps magnifique. Cette multitude fut cause d’un grand scandale au moment où les deux champions entrèrent en lice[5]. Une troupe d’hommes sans aveu et de mauvais sujets, arrivés sur les lieux dans l’espoir d’y exercer leur industrie, se rua sur les tentes où La Chasteigneraye avait fait préparer un souper magnifique pour y fêter ses amis après le combat, tant il se croyait sûr du succès. En un instant,

  1. Carlois, secrétaire du maréchal de Vieilleville.
  2. « Le péril passé, on se moque du saint. »
  3. « Item, voulons et ordonnons que toutes lices de gaige de bataille ayent à sçavoir : quarante pas de large et quatre-vingt pas de long. » (Formulaire déjà cité, art. XVIII.)
  4. Trefe, vieux mot français pour désigner le pavillon du chevalier qui doit combattre en champ clos.
  5. Il était déjà fort tard, et le soleil près de se coucher.