Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/951

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avoir fait attendre son adversaire, pendant deux années, par des subtilités sans cesse renouvelées sur les diverses conditions du combat. Le droit absolu[1] qu’avait le défendeur d’imposer au demandeur toutes les armes qu’il voulait, et cela en nombre illimité, avait aussi pour effet d’occasionner d’incalculables dépenses à ce dernier, qui était obligé de se munir de tous les chevaux, harnais de guerre, armes à pied ou à cheval, qu’il plaisait à l’imagination de son adversaire d’inventer. En outre, les frais, les vacations, citations, les indemnités dues aux hérauts d’armes, aux notaires, etc., étaient très considérables ; aussi le pauvre gentilhomme dont parle Brantôme avait en deux ans dépensé cent mille écus et s’était ruiné ; il reçut en outre un bon coup d’estoc en m ; nière de consolation. Ce droit de choisir les armes allait jusqu’à l’absurde : non-seulement les inventions les plus bizarres étaient admises, mais à la dernière heure le soutenant pouvait encore imposer des armes nouvelles[2] dont il n’avait pas été question dans la liste, et cela avait toujours lieu, afin de dérouter et gêner un adversaire qui, ignorant les armes dont on ferait usage en champ clos, n’aurait pas eu le temps d’étudier la manière de s’en servir. Brantôme rapporte que, dans une de ces affaires, le demandeur était borgne de l’œil gauche ; or, dans la liste des armes laissée par le défendeur, celui-ci avait stipulé très exactement que les deux combattans porteraient un morion couvrant hermétiquement la partie droite du visage, et conséquemment l’œil droit, de sorte qu’ainsi armé l’assaillant aurait été obligé d’entrer en lice absolument sans y voir. On a peine à concevoir comment dans cette affaire les parrains et confidens (c’était le nom qu’on donnait alors aux témoins ou seconds des duels) passèrent plusieurs jours à délibérer gravement une telle condition, qui ne fut définitivement rejetée qu’après les débats les plus vifs.

La lettre que Vivonne adressa à Henri II dès son avènement au trône était ainsi conçue :


AU ROY MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

« Sire,

« Ayant entendu que Guichot Chabot, estant à Compiegne sous le règne du feu roy, a dit que quiconque l’accusoit de s’estre vanté d’avoir eu les bonnes grâces de sa belle mère estoit meschant et malheureux ; sur cela, sire, avec vostre bon vouloir et plaisir, je réponds qu’il a meschamment menty, car il s’en est vanté à moi plusieurs fois.

« FRANÇOIS DE VIVONNE. »


Quelques jours après, Vivonne écrivit au roi une seconde lettre :

  1. L’édit de 1307 l’établit formellement.
  2. Il les apportait en double sur le terrain.