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vilainement menti ; » puis il se rendit précipitamment au château de son père, où, se jetant à ses pieds, il protesta de toutes les forces de son âme indignée contre la criminelle interprétation donnée à ses paroles. À la longue, à forge de supplier, de protester, le pauvre Jarnac parvint à le persuader de son innocence, et il retourna à Paris, où se trouvait la cour alors, pour y chercher vengeance en poursuivant la réparation de l’injure qui lui avait été faite.

Le dauphin Henri était le premier auteur ou instigateur de la calomnie : c’était en plein sur lui que le démenti tombait. Il vit bien vite, aux regards des courtisans, qu’il était blâmé et jouait un rôle humiliant. Que se passa-t-il alors ? L’histoire ne nous le dit pas, mais il est probable que les propos avaient été tenus par la grande-sénéchale, et que le dauphin ne voulut pas la désavouer. Quoi qu’il en soit, je ne doute pas que La Chasteigneraye, honteux pour Henri de la cruelle situation qu’il s’était faite, bien aise sans doute de plaire à la favorite, pensant peut-être, il faut le croire, que Jarnac n’oserait pas s’exposer à une mort certaine en le provoquant, oublia son ancienne amitié et commit une très mauvaise action en disant tout haut partout qu’il était prêt à répondre à Monlieu, « attendu que c’était en parlant à lui-même que Guichot s’était cyniquement vanté d’une conduite coupable qu’il avait trouvé bon de nier plus tard. »

Vivonne et Jarnac firent toutes les diligences nécessaires, en se conformant aux prescriptions du code sur les duels alors en vigueur, pour obtenir que le roi leur accordât le camp. François Ier, qui les aimait tous deux, reçut leur demande et la soumit à son conseil privé ; l’affaire y fut débattue. En définitive, le roi leur refusa le combat, disant « qu’un prince ne devait jamais permettre chose de laquelle on ne pouvait espérer bien, comme d’un tel combat[1]. »

François était sans doute guidé par de très bons sentimens ; cependant c’était le cas ou jamais d’appliquer l’édit de Philippe le Bel, qui régissait encore les duels à cette époque. On lit en effet dans le Forumulaire des combats à outrance à la mode de France, suivant l’ordonnance du roi Philippe, etc. : « Pour qu’il chée gaige de bataille, il faut que l’assaillant ou demandant dise qu’il ne peut prouver par tesmoins ne autrement que par son corps, en champ clos, comme gentilhomme et preudhomme doit faire, en présence de moy son juge et prince souverain, et alors doit gecter son gaige de bataille. » Philippe, en terminant cette ordonnance, qui indiquait les cas dans lesquels le combat judiciaire était permis, s’exprimait ainsi : «… Or

  1. « Et la chose mis en délibération au privé conseil, bien que plusieurs apposassent diverses opinions, celle du roi fut de leur dénier le combat, pour plusieurs belles et grandes raisons, disant qu’un prince, » etc. (Voyez La Colombière.) Brantôme ajoute : « Il le refusa bien aussi pour une autre raison que je ne dis pas. »