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maison pouvait être considérée comme l’une des plus grandes et illustres de France, d’Italie, de Flandre et d’Allemagne. Il faisait, en qualité d’enfant d’honneur, partie de la cour ainsi que Vivonne, avec qui il était fort lié et s’était, disons-le en passant, souvent mesuré à la lutte, ou en faisant assaut dans les salles d’armes. Son père l’avait mis auprès du roi dès sa plus tendre enfance. François Ier l’appelait familièrement Guichot. Il ne le cédait pas en courage à Vivonne, mais n’était renommé, comme son ami, ni par sa grande adresse aux exercices du corps, ni par son amour pour les duels. Plus âgé de dix ans que Vivonne, il avait bien servi dans les guerres d’Italie, et s’était particulièrement distingué à Crémone avec Bonnivet. Jarnac était beau-frère de la ducbesse d’Etampes[1] et l’un de ses familiers ; il inclinait, comme Anne, pour les idées religieuses nouvelles[2] ; aussi comprend-on qu’il dut s’aliéner la sympathie de Diane, qui était très passionnément catholique. Monlieu, c’était le nom qu’on lui donnait souvent à la cour, avait une jolie figure, se faisait remarquer par son élégance et la recherche de sa toilette. Les intrigues d’amour, où il était fort heureux, mais où il ne brillait point par sa discrétion, formaient son occupation presque exclusive.

Un jour, causant familièrement à Compiègne avec Vivonne, celui-ci lui dit devant le dauphin : » Je ne m’explique pas, Guichot, comment tu peux être aussi gorgias[3] et glorieux avec les revenus que je te connais, car ils ne sont pas lourds. » Monlieu répondit que Mmedc Jarnac, sa belle-mère[4], avait beaucoup de bontés pour lui, et que, son père ne pouvant rien refuser à sa femme, il avait soin de bien faire sa cour à cette dernière, obtenant par ce moyen tout l’argent qu’il lui fallait. Il n’y avait rien que de fort innocent dans cette réponse ; mais le dauphin en glosa avec Diane, qui, y trouvant un moyen de médire du beau-frère de Mme d’Étampes, en parla en termes très outrageans pour Mme de Jarnac, femme fort respectable et respectée. Quelques méchans répétèrent perfidement la chose, qui ne tarda pas à se propager, et Jarnac ; apprit qu’on l’accusait de s’être vanté d’avoir les bonnes grâces de sa belle-mère. Il est plus facile d’imaginer que de décrire son désespoir. Furieux d’une aussi atroce accusation et ne sachant à qui s’en prendre, puisque le dauphin seul pouvait en être coupable, il déclara que quiconque avait tenu ce propos ou voudrait le soutenir « estoit meschant et en avoit

  1. Il avait épousé en 1540 Louise de Pisseleu, sœur d’Anne.
  2. Après la mort de François Ier, la duchesse se fit, dit-on, secrètement calviniste, entraînant par son exemple beaucoup de seigneurs de la cour. Jarnac fit comme elle.
  3. Gorgias, c’est-à-dire vêtu richement.
  4. Cette belle-mère était Madeleine de Pontguyon, Femme jeune encore et séduisante, qui avait épousé le vieux sire de Jarnac, père de Monlieu, en secondes noces.