Saint-Germain, les impressions qu’on éprouve ne vous empêchent pas de songer à vos affaires. Cette vue de Marly, de Bougival, de Chatou, avec la Seine qui serpente au milieu des prés, cette perspective si variée, à laquelle j’aime d’ailleurs à rendre justice, n’est pas assez romantique, ne vous donne pas assez de distractions pour vous faire oublier le cours de la Bourse et la question d’Orient. On se promène tout doucement sur la terrasse, avec le sentiment d’une très belle vue et la sensation d’un air très salubre, on y est égayé en outre par les cavalcades de Ravelay[1]. Ces avantages réunis me décident à donner la supériorité à la terrasse de Saint-Germain sur toutes les autres. Le bourgeois de Paris a, d’un autre côté, la satisfaction de se dire qu’il foule ici un sol historique. -Voici, s’écrie-t-il en descendant la terrasse, le pavillon Henri IV, plus célèbre encore par les souvenirs qu’il réveille que par les bons dîners qu’on y mange. — Ce pavillon Henri IV est une maison qu’on appelle ainsi, — chose singulière, — parce que Louis XIV y est né !
En tournant le dos à la cathédrale de Saint-Denis, sépulture royale dont le profil funèbre, aperçu de si loin pourtant, fut cause de la création de Versailles, on quitte la terrasse, et l’on a devant soi l’ancienne seigneurie de Charlevanne, entourée de la vieille forêt d’Yveline : c’étaient les noms qu’il y a bien des siècles, — à l’époque un peu éloignée où régnait Childebert, — portaient la ville et la forêt de Saint-Germain. Son boulingrin, son château, son parterre et ses grands bois, — tout cela depuis s’est bien souvent transformé, tout cela a traversé bien des vicissitudes. Ce grand château, qui vous regarde d’un air si sérieux, avec ses pierres grises et ses entablemens de briques, a plus d’histoires à vous raconter à lui seul peut-être que tous les manoirs de France réunis.
Parmi ces histoires, une entre autres m’a toujours semblé particulièrement digne d’intérêt ; aussi ai-je mis à profit mon récent séjour à Saint-Germain pour en recueillir tous les détails. Le récit qu’on va lire est le résultat de ces recherches, singulièrement facilitées dans une ville qui présente toutes les conditions nécessaires pour qu’on y puisse étudier comforlablement les faits saillans qu’elle rappelle. Saint-Germain-en-Laye possède une intéressante collection de livres, et un bibliothécaire fort obligeant pour vous en faire les honneurs ; le pays est très sain, et l’on y jouit du calme complet, si nécessaire à la méditation. Comme ces beaux lieux et ces vieux murs parlent à l’imagination ! La main hésite ici entre le pinceau et la plume, ou y trouve tant à peindre et tant à écrire ! Les archives de cette antique demeure de nos rois, déshonorée aujourd’hui par les
- ↑ Célèbre loueur de chevaux et d’ânes.