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populations slaves en possession de leurs destinées en rompant le lien qui les unissait aux races germaniques ; accomplir enfin, du droit de la victoire et du génie, ce que l’esprit révolutionnaire s’efforce aujourd’hui de préparer, une telle œuvre valait une bataille de plus, et celle-ci du moins n’aurait pas été stérile. Or la stérilité politique la plus complète est le caractère propre de la campagne de 1809, dont Ratisbonne, Essling et Wagram marquent les étapes glorieuses, mais sanglantes. Sacrifier cent mille hommes pour joindre la Carniole au royaume d’Italie et pour agrandir la Bavière et la Saxe, destinées à nous porter les derniers coups, c’était là un résultat qui ne constatait que trop le vide de la pensée à laquelle il se faisait chaque jour de si douloureuses immolations.

N’était-ce pas d’ailleurs recommencer la faute commise pour la Prusse, et donner à l’Autriche des griefs nouveaux sans lui ôter aucune force au jour marqué pour la vengeance ? En rompant violemment le faisceau des races qui constituaient l’empire autrichien, Napoléon n’aurait pas rendu les gouvernemens étrangers plus irréconciliables qu’ils ne l’étaient déjà, et il se serait préparé du moins quelques sympathies au sein des peuples. Lors de la campagne de 1809, la Russie, désabusée des illusions de Tilsitt, en était déjà à l’état d’observation armée, et mieux aurait valu la rencontrer encore une fois sur les bords du Niémen que d’aller soi-même la chercher bientôt sur ceux de la Moskowa ; mais de telles pensées n’auraient été comprises ni par les négociateurs d’Altenbourg, ni par le fier vainqueur dont ils appliquaient sans contrôle les souveraines inspirations. Pour Napoléon, un peuple n’avait pas de droits dès qu’il n’avait pas d’armée, et lorsqu’il couchait sur un champ de bataille, il estimait tenir sous ses pieds le cadavre d’une nation. Croyant supprimer les siècles par des victoires et les dynasties par des décrets, il élevait un édifice dont la grandeur le disputait à la fragilité. L’empire, placé en dehors de toutes les réalités, devenait un roman superposé à l’histoire, et comme un perpétuel défi adressé par un homme à la nature.

L’accord des moyens avec le but imposa aux institutions de l’empire le caractère artificiel et tendu que prenait chaque jour davantage sa politique. Tant qu’il ne s’était agi que d’asseoir la France dans les plus larges conditions de sa grandeur, Napoléon s’était attaché à donner au génie national tous ses développemens naturels, à le déployer dans l’infinie variété de ses aspirations et de ses formes. La légion d’honneur avait été l’intelligente expression de cette idée, qui, confondant tous les mérites et tous les services dans une rémunération commune, plaçait le magistrat blanchi sur son siège au niveau du général tué au champ d’honneur ; mais sitôt que l’empire